Avec l’hiver, le retour des veillées
Du XIXe siècle jusqu’à l’avènement de la télévision, les familles se rassemblent le soir pour écouter les histoires des anciens. Le romancier Balzac et un ancien instituteur racontent leurs souvenirs de veillées.
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Entre octobre 1832 et juillet 1833, Balzac rédige son Médecin de campagne. Dans le village du Dauphiné où s’est retiré le docteur Benassis, on ovationne Goguelat, vieux grognard de Napoléon, qui raconte son épopée. C’est à la veillée que s’entretient la légende impériale : « Voyons, Monsieur Goguelat, racontez-nous l’Empereur ! » Les paysans ont beau l’avoir entendu bien des fois sur ce sujet, ils en redemandent.
« Voulez-vous Champaubert, où il n’y avait plus de cartouches, et où l’on s’est astiqué tout de même à la baïonnette ? – Non ! l’Empereur ! l’Empereur ! » L’ancien soldat quitte alors sa botte de foin et se campe pour reprendre son rôle : « Après avoir repoussé ses cheveux gris d’un seul côté de son front pour le découvrir, il porta la tête vers le ciel afin de se mettre à la hauteur de la gigantesque histoire qu’il allait dire. »
Or à la même époque, à quelque 120 km plus à l’est, une autre veillée, relatée par un ancien instituteur du Queyras, enchante toute une famille. À plus de 1200 m d’altitude, la neige a envahi le village de Chantemerle (commune de Saint-Chaffrey, Hautes-Alpes), rattaché aujourd’hui à Serre-Chevalier. Les Sandre — dix jeunes enfants et plusieurs domestiques — se rassemblent autour du patriarche, Bertrand, et de sa femme Sophie. La mémoire de Baptiste, qui s’expatriera plus tard dans la Saône-et-Loire, fait revivre ce temps fort de l’unité familiale.
Ces grands moments de sociabilité collective se sont estompés mais la veillée survivait dans bien des campagnes isolées jusqu’aux années 1950.
« Pendant l’hiver [1832-1833], tous les soirs, après la prière qui se faisait au salon, à la fin du souper, on se rendait à l’écurie pour y veiller jusqu’à dix heures, et là en compagnie de la jument, des vaches, de la chèvre, des moutons qui nous faisaient sentir leur douce chaleur, chacun travaillait selon son âge et ses aptitudes. » Au cours de ces longues heures passées à la chandelle, chacun a son rôle.
« Ma mère et mes sœurs filaient au rouet le chanvre de notre chènevière ou laine de nos moutons pour la toile et le drap à notre usage et les bons bas qui nous tenaient les pieds si chauds pendant l’hiver. Mes frères et moi nous teillions ou dévidions le fil pour le tisserand. Mon père, juché sur un grand lit, dont le dessous servait de bercail, teillait le lin récolté à la montagne, en chantant les messes de La Feillée et autres […]. Ma sœur Thérèse chantait des cantiques : elle était maîtresse chanteuse à l’église. Ma mère, près du berceau d’Alexandre, pour l’endormir, chantait, tout en filant, le cantique : « Bénissez le Seigneur suprême, Petits oiseaux, dans vos forêts, Dites sous ces ombrages frais, Dieu mérite qu’on l’aime », et bien d’autres parmi lesquelles je puis citer la Chanson des métiers.
« Mon frère Paulin et moi, nous faisions des accords en chantant toutes sortes de chansons, et des canons ou des cantiques. Il m’avait appris une chanson en italien qu’il accompagnait en pinçant de la guitare. Quelquefois mon père jouait de la mandoline, et mon frère Justin de la flûte. Oh ! Heureux temps ! C’était l’âge d’or de la famille. » À la fin du XIXe siècle, ces grands moments de sociabilité collective se seront estompés mais, jusqu’aux années 1950, la veillée survivra, dans bien des campagnes isolées. Un monde d’avant, détrôné ensuite par le petit écran.
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