Login

Préserver la qualité de l’eau, comme les molécules

L'application tôt dans le cycle de produits racinaires augmente le risque de lessivage et donc de pollution diffuse.

Mal employés, les herbicides peuvent avoir des répercussions sur la qualité de l’eau potable, ce qui aboutit à des restrictions, voire des interdictions, de matières actives.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

« Aujourd’hui, le lien entre les pratiques et l’impact sur la qualité des eaux doit être fait plus que jamais », a appuyé Jean Lieven, ingénieur régional chez Terres Inovia, dans une présentation sur la gestion responsable des graminées, en novembre dernier au Havre (Seine-Maritime).

Une situation tendue sur les grandes cultures

D’une part, la situation des herbicides utilisés sur grandes cultures demeure très tendue. S’ils n’ont pas déjà été retirés, ces molécules sont souvent sur la sellette : classés CMR2 (suspectés d’être cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), candidats à substitution, voire les deux à fois (pendiméthaline, propyzamide, aclonifen, chlortoluron…) ou perturbateurs endocriniens (métribuzine par exemple).

En outre, les spécialités encore disponibles ne sont pas toujours efficaces et/ou ont des restrictions d’emploi, comme sur sols drainés. Les pratiques se concentrent sur quelques matières actives. Les résistances des graminées, ray-grass et vulpin en tête, aux différentes familles d’herbicides ne facilitent pas non plus la tâche.

Davantage de molécules retrouvées

D’autre part, les impacts environnementaux, notamment sur la qualité de l’eau, sont de plus en plus pris en compte par la phytopharmacovigilance (1). Dans le bilan de qualité de l’eau au robinet du consommateur vis-à-vis des pesticides en France (publié en décembre 2023), le ministère de la Santé informe qu’en 2022, 84,6 % de la population a été alimentée par une eau dont la qualité respectait en permanence les limites de qualité fixées par la réglementation. Mais cette proportion atteignait 94,1 % en 2020.

On retrouve ainsi de plus en plus de molécules à l’origine de dépassements de la limite de qualité, en particulier le métabolite (2) ESA du métolachlore et ceux de la chloridazone. Dans le cadre du contrôle sanitaire, la gamme de produits recherchés s’est en effet élargie avec le temps. De plus, le matériel utilisé dispose d’une capacité de détection plus fine qu’auparavant.

« La qualité de l’eau est le reflet des roches géologiques et des pratiques agricoles et d’occupation des sols, précise Jérôme Ratiarson, de l’Agence de l’eau Seine-Normandie. Les résultats diffèrent selon la nature du sous-sol. En Normandie, deux tiers de la surface sont situés sur l’aquifère sédimentaire du Bassin parisien. Avec un énorme réservoir d’eau souterraine, il existe une grande inertie en termes de qualité et, lorsqu’elle est dégradée, sa reconquête est longue. »

Des métabolites de molécules interdites

En Normandie toujours, une dizaine de molécules représente l’essentiel des contaminations mesurées. Une bonne moitié des situations concerne des métabolites de molécules interdites, comme l’atrazine (retirée en 2003) ou la chloridazone (2020).

Pour le reste, sont retrouvés essentiellement des métabolites d’herbicides autorisés sur colza (métazachlore et dimétachlore) ou sur maïs, betterave ou tournesol de la bentazone et du S-métolachlore. Cette molécule ne pourra d’ailleurs plus être appliquée au-delà du 23 juillet 2024. Tous ces herbicides sont souvent racinaires. Positionnés en tout début de cycle, à des périodes où les précipitations sont fréquentes, ils risquent davantage d’être lessivés.

Des pics de pollution à la propyzamide sont aussi régulièrement observés dans l’Eure. Cette molécule, notamment utilisée sur colza dans la lutte contre les graminées, s’emploie en novembre- décembre, donc durant la période de recharge hivernale.

On observe aussi des pics avec le chlortoluron, employé sur céréales à paille. « Ce sont autant d’éléments qui alimentent les réflexions que l’on a avec l’Anses (3) sur les préconisations d’usage actuel, qui ne permettent pas d’assurer une innocuité dans l’environnement des molécules », appuie Jérôme Ratiarson.

Tester des solutions alternatives

Dans ce contexte, différents projets ont vu le jour. « Phyt’Eau Normandie a débuté il y a deux ans et demi, au moment où le S-métolachlore défrayait la chronique », informe Emmanuel Gsell, chargé de mission à la chambre d’agriculture régionale de Normandie. Les travaux ont pour but de tester des solutions adaptées au contexte local, réduisant l’impact des herbicides sur la qualité de l’eau, tout en garantissant à l’agriculteur la réussite de son désherbage.

Piloté par Terres Inovia, le projet Gigan, pour « gestion intégrée des graminées adventices national », débute à peine. Il a pour objet d’identifier des combinaisons de leviers afin de maîtriser les graminées et d’évaluer leurs impacts économiques, environnementaux et sociétaux. Il repose sur une logique de co-construction avec les agriculteurs et les techniciens. Il disposera de plusieurs sites en Normandie, dans le Cher et la Somme.

Autre exemple : depuis deux ans, dix agriculteurs de Charente-Maritime sont engagés dans un protocole de tests mené avec l’entreprise de négoce agricole Landreau, la chambre d’agriculture et l’établissement public territorial de bassin Charente. Il vise à réduire l’utilisation des solutions chimiques via le désherbage mécanique, et ainsi à préserver la qualité de l’eau. Malgré des difficultés de mise en œuvre, les premiers résultats ont été concluants puisqu’une baisse de 50 % des herbicides a été possible.

(1) Système de vigilance qui collecte et analyse des données de surveillance sur les produits phytopharmaceutiques. L’objectif est d’identifier d’éventuels effets indésirables et protéger la santé des êtres vivants et des écosystèmes.

(2) Produits de dégradation des produits phytosanitaires

(3) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement