En Gaec et autonomes éleveuses de mère en fille

Julie Lemercier ne s’est jamais posé la question de son avenir professionnel. « Depuis que je suis toute petite, je veux devenir éleveuse », sourit la trentenaire, au regard bleu comme celui de sa mère Magali, dont elle a suivi la voie. Enfant unique, la jeune femme incarne la quatrième génération d’éleveurs ovins sur l’exploitation familiale, située Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône).

« Mes parents se sont séparés quand j’avais 5 ans. Maman m’a élevée seule, poursuit la jeune agricultrice. Mais elle a tout appris de son père. Plus tard, je le suivais également partout. Il m’a enseigné une bonne partie de ce que je sais aujourd’hui. » « Nous étions deux sœurs, confie à son tour Magali. J’ai choisi d’exercer ce métier pour montrer à mon père que j’étais aussi capable qu’un homme de le faire. Je voulais qu’il soit fier de moi. À 10 ans, je gardais le troupeau. »

Répartition des tâches

Julie s’installe en 2008 en nom propre. Elle a alors 23 ans et Magali 43 : « Ma mère m’a donné 180 brebis et nous avons partagé les terres. » En 2017, elles créent un Gaec pour agrandir l’exploitation qui repose sur deux activités complémentaires, l’élevage ovin avec 1 600 brebis mères et la production d’AOC foin de Crau. Les agneaux sont vendus à des maquignons, le foin à différents négociants. « Nous travaillons ensemble, mais nous avons chacune notre troupeau, explique Julie. Les brebis agnellent ensemble au mois d’octobre dans la bergerie. Nous constituons ensuite des lots de 200 mères au fur et à mesure des naissances, dont nous nous occupons séparément. »

Cette répartition des tâches leur permet de conserver une certaine autonomie. Car les deux femmes qui se disent fusionnelles, ont de fortes personnalités et se disputent souvent. « Mais, ça ne dure jamais, avouent-elles. Nous sommes d’accord sur l’essentiel. » Magali a toujours espéré que sa fille reprenne le flambeau. « Je l’ai encouragée, dit-elle. J’ai aussi fait en sorte de faciliter certains travaux. Chaque tracteur dispose de ses propres outils. Autrefois, ce n’était pas le cas et physiquement, c’était difficile. »

À l’extérieur, toute l’année

Si elle a soutenu Julie, c’est parce que l’élevage en Crau est particulier et rude. La mérinos d’Arles, la race locale, pâture à l’extérieur toute l’année. L’hiver, elles bénéficient de la quatrième coupe (regain) de prairies naturelles destinées à la production d’AOC foin de Crau. Au printemps, les bêtes pâturent dans les coussouls, la dernière steppe semi-aride d’Europe recouvertes de gros galets et d’herbes sèches.

« La mérinos est adaptée à cet environnement, explique Magali, très attachée à cette race méconnue. Il y a toujours eu des moutons ici. On trouve d’ailleurs des vestiges de bergeries romaines dans les coussouls. Nous conduisons nos animaux sur ces parcours à pied. Les trois premières semaines après la tonte, nous les rentrons tous les soirs à la bergerie. Par la suite, nous les laissons sur place. » Au mois de juin, les brebis transhument dans le Vercors où elles restent durant trois mois et demi.

« Nous ne faisons qu’un agnelage par an, précise Julie. La production de foin de Crau requiert en effet beaucoup de temps entre l’arrosage et les différentes coupes qui ont lieu entre mai et septembre. » La jeune femme prend désormais davantage de responsabilités : elle escorte les brebis en camion jusque dans les alpages et supervise la tonte. Magali a en charge le recrutement des bergers. Elle n’est jamais bien loin pour conseiller sa fille qui reste à l’écoute. Julie est maman de deux enfants, Faustine 7 ans et Valentin 14 ans. La plus jeune suit sa grand-mère partout sur l’exploitation. Quant à l’aîné, il vient de constituer un dossier pour s’inscrire à la maison familiale et rurale de Saint-Martin-de-Crau. Lui aussi veut devenir éleveur.