Fruits et légumes : s’adapter aux habitudes de consommation de demain
Philippe Goetzmann, spécialiste des évolutions de la consommation, a décrit aux acteurs de la filière des fruits et légumes les défis qui se présenteront à eux, en lien avec l’évolution de la société.
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« La consommation est toujours un arbitrage entre des désirs et des contraintes. Ces dernières sont multiples, et pour beaucoup, elles sont d’abord financières », exposait Philippe Goetzmann, consultant spécialiste des évolutions de la consommation, le 24 septembre 2024 lors de l’assemblée générale d’Interfel, l’interprofession des fruits et légumes frais. Selon lui, la dépense alimentaire des Français n’augmentera plus, ou de façon très marginale par le glissement de l’inflation.
C’est la conséquence de plusieurs facteurs, en premier lieu d’ordre démographique. « La population française ne croît plus. Nous sommes rentrés dans une période de stagnation démographique, voire de déclin. Il n’y a donc pas plus de bouches à nourrir », calcule-t-il.
Par ailleurs, pour des raisons tant écologiques qu’économiques, le consommateur fait de plus en plus attention au gaspillage alimentaire, estimé entre 10 et 15 % des achats, et cherche à le réduire. À cela s’ajoute le sujet de l’obésité, lié au fait de trop manger. « Si on cumule tout cela, on peut penser que d’ici à dix ans, on pourra nourrir les Français, considérant une population qui n’augmente pas, avec 10 à 15 % de volumes en moins », indique Philippe Goetzmann.
Intégrer le facteur prix dans les politiques alimentaires
Il met en parallèle les problématiques de pouvoir d’achat, en forte tension pour un certain nombre de français : s’il a augmenté de 30 % entre 1990 et 2007, le pouvoir d’achat n’a pas évolué entre 2007 et 2019, et a gagné 4 à 5 % depuis 2019.
« En 2010, 9 % des salariés du privé étaient au Smic, 12 % il y a quatre ans et 18 % actuellement. La smicardisation de la société est rapide », observe-t-il. Pour lui, une partie de la population vit une paupérisation, c’est-à-dire un abaissement de niveau de vie, qui se retrouve dans la consommation.
« Dans toutes les politiques que l’on veut mener en matière d’alimentation, il faut intégrer le facteur prix, sinon on passe à côté du sujet », insiste-t-il. Depuis 2007, le Smic a augmenté de 35 %. Pendant cette période, les prix des produits de grandes marques dans la grande distribution ont augmenté de 26 %, tandis que ceux des fruits et légumes ont doublé. « Le pouvoir d’achat d’un smicard en fruits et légumes a baissé de 30 %, pour une population de smicard qui a doublé », analyse l’expert.
Externalisation et individualisation de l’alimentation
Par ailleurs, la physionomie des ménages a changé, et leur taille a considérablement baissé. Selon l’expert, en 1970, il fallait 32 logements pour loger 100 personnes. Aujourd’hui, il en faut 46. « On divorce, on fait moins d’enfants, on vieillit… », justifie-t-il.
On est moins nombreux à la maison, et s’ajoute à cela un taux d’emploi élevé. « Manger des plats familiaux, à la maison, est en train de disparaître, constate-t-il. Nous mangeons de plus en plus individuellement, même à la maison, et nous externalisons l’alimentation avec des plats cuisinés préparés, des livraisons à la maison, ou dans les restaurants. »
Actuellement, 37 % des ménages sont constitués d’une personne. Le schéma classique du ménage de 4 personnes, avec les parents et deux enfants, représente 11 % des ménages. « D’ici à un ou deux ans, le nombre de bouches à nourrir des ménages individuels sera équivalent au nombre de bouches à nourrir des ménages de quatre personnes », avance le spécialiste. Les logiques de grammage et de calibre seront donc à repenser, en considérant la diminution de la taille des ménages, notamment en fruits et légumes. Il donne l’exemple d’un melon, parfois trop gros pour une personne seule.
Moins de produits, plus d’expérience : une évolution des usages
Le snacking, le prêt à manger, le recours à des services est une autre évolution de la société à considérer. « Notre alimentation qui a été construite autour d’une famille, avec une notion de produits, de rythmes très calibrés en France, est en train de se déstructurer autour d’une logique d’expérience, explique Philippe Goetzmann. On vient vivre une expérience culinaire du chef au restaurant, on vient vivre une expérience chez Starbucks… Le produit n’est qu’un élément contributif de cette expérience. »
Cette notion d’expérience efface celle de l’origine, selon l’expert. « Quand vous achetez des fruits et légumes en magasins, vous connaissez l’origine, il y a des obligations d’affichage. Quand vous êtes sur une application, ou dans une chaîne de restaurants, cette origine s’efface. Non pas qu’elle ne soit pas affichée, mais ce n’est pas ce que le consommateur recherche. Sauf s’il est dans un restaurant qui a choisi que cette expérience serait celle-là. »
Des imaginaires de consommation différents
« Il y a 20 ans, notre imaginaire de consommation était le même chez tout le monde, même si on n’avait pas tous les mêmes moyens., dérit le spécialiste. Aujourd’hui, il y a des imaginaires d’ordre politique qui sont de plus en plus différents. » Cela a pour conséquence, à la maison comme au restaurant, la notion d’individualisme ou de liberté individuelle. Le « tu n’as plus le droit de m’imposer ce que je mange », illustre Philippe Goetzmann.
De moins en moins de gens reçoivent autour de la table avec un plat qui est commun. « On remplace par des buffets apéros, ce qui évite de se confronter au fait de plaire à tout le monde. Chacun a son discours politique, ses allergies… cela concourt à la déstructuration de l’alimentation », décrit-il.
L’éducation à l’alimentation, si elle est importante, ne doit pas concentrer les efforts au risque de « passer à côté du sujet », ajoute Philippe Goetzmann. « Les éléments démographiques, sociologiques, de travail sont des éléments de contraintes, qu’on ne peut pas desserrer qu’avec de l’éducation », estime ce dernier.
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