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Privés de phytos « On arrête tout à la fin de l’exercice »

Faute de solution de remplacement au « 1-3 D », les surfaces de carottes ont chuté de 40 % en 2018 dans la Manche. Certains producteurs raccrochent les crampons comme Alexandra Tirel, maraîchère sur 100 ha à Bretteville-sur-Ay.

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Il est 11h00 ce mardi 29 janvier 2019 à Denneville sur la côte ouest de la Manche à une encablure de Portbail. Il fait un froid à ne pas sortir un manchot dehors avec l’arrivée de la tempête Gabriel, mais l’agitation est forte au sein des parcelles d’essais de carottes suivies par le Sileban, société d’investissement légumière et maraîchère de la Basse-Normandie.

Un fléau spécifique

Ce jour-là, Joël Limouzin, le président du Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), ne peut que constater les dégâts devant les prélèvements issus de parcelles traitées avec des méthodes alternatives au 1-3 dichloropropène (1-3 D) pour lutter contre le nématode à kyste de la carotte, un fléau spécifique à ces terres de sables blancs du littoral occidental de la Manche.

 

« On ne parle même plus de perte de rendement, s’offusque un producteur brandissant hors de terre une touffe de carottes fourchues et pas plus longues que la paume de la main. Les surfaces traitées avec des solutions alternatives produisent 15 t/ha de carottes non marchandes contre 60 à 70 t/ha de carottes marchandes en situation saine. »

Cessation d’activité

« Nous, on arrête tout à la fin de l’exercice, au 31 mai prochain, témoigne Alexandra Tirel, la quarantaine, fille et petite-fille de producteurs, en marge de la démonstration technique. Il va falloir retrouver du travail ailleurs. Ça fait mal parce que la production de carottes, on a cela dans nos gènes. »

 

Installée à Bretteville-sur-Ay sur 100 ha de sables infestés, Alexandra Tirel emploie 33 équivalents temps plein. « C’est une entreprise qui marche bien. Nous nous sommes diversifiés dans les légumes anciens, mais le ver s’y attaque aussi. Nous n’avons pas arrêté de nous mobiliser sur ce sujet. Mais aujourd’hui, je n’y crois plus », soupire Alexandra, qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires en carottes.

 

Parmi les 80 producteurs de ce terroir littoral sableux si particulier et qui génèrent à eux seuls 1 000 emplois directs, Alexandra est l’une des premières à raccrocher les crampons. Mathieu Joret, producteur de carottes à Saint-Germain-sur-Ay sur 22 ha, n’en est pas encore là, mais il a déjà dû réduire ses surfaces de moitié en 2018.

 

« À la place, j’ai fait du maïs grain, explique Mathieu Joret. Il y a quand même une parcelle non désinfectée où j’ai pris le risque de faire des essais de carottes. » En 2019, Mathieu ne sait pas s’il continuera de jouer avec le ver.

 

L’an dernier, certains avaient pu anticiper les traitements à l’automne de 2017 avant le non-renouvellement de la dérogation pour l’utilisation du 1-3 D intervenu brutalement en mai 2018. « Malgré cela, 40 % des surfaces n’avaient pas pu être semées dans de bonnes conditions. En 2019, on entre vraiment dans le dur sans aucune solution », souligne Philippe Jean, de la FDSEA de la Manche.

 

Une demande d’indemnisation à hauteur de 4 millions d’euros est demandée pour 2018 et 9 millions d’euros par anticipation pour 2019. En parallèle, la profession agricole locale demande un accompagnement pour la mutation des structures en demandant un accès facilité à l’investissement pour produire d’autres légumes sous serre ou en système irrigué.

Peu de perspectives

« Cela fait 25 ans que nous cherchons des alternatives au 1-3 D pour lutter contre le nématode à kyste Heterodera Carotae, souligne Matthieu Joret. Certains produits montrent une efficacité, mais il faudrait passer toutes les deux semaines avec des coûts de production inacceptables. »

 

Un seul produit semblait donner de bons résultats : le métam-sodium lui aussi brutalement interdit. « Quant à la recherche variétale, c’est très compliqué. Le turn-over variétal est très faible. La lutte agronomique par les rotations est impossible Le nématode s’enkyste et son seuil de nuisibilité est très bas. Seul le 1-3 D empêchait que le ver ne se réveille », poursuit le producteur.

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