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Les collectivités investissent dans le foncier pour relocaliser les fermes

Anne-Sophie et Charles Teruin, les exploitants de la ferme préemptée par la mairie de Pont-Saint-Martin se sont reconvertis en brebis laitières.

À l’heure où la question de la souveraineté alimentaire et du renouvellement des générations d’agriculteurs est au cœur des enjeux politiques, les collectivités s’engagent pour faciliter la transmission via le portage de foncier.

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« Avec mon équipe municipale, on refuse de perdre une ferme. » C’est en partant de ce constat que Yannick Fétiveau, maire de la commune de Pont-Saint-Martin (Loire-Atlantique), s’est porté candidat au début de 2022 pour reprendre une ferme de 180 hectares auprès de la Safer. Pour cette ville de près de 7 000 habitants, pas question de laisser partir la ferme à un projet d’élevage équin alors qu’elle représente un cinquième de la surface agricole de la commune. Après une dizaine de prises de contact et un « ferme-dating » de trois candidatures, les heureux élus, un couple de reconvertis, s’installent en brebis laitières commercialisées en vente directe au printemps 2023.

Que ce soit pour favoriser le renouvellement des générations ou pour relocaliser des productions dans un objectif de réduction des émissions, des collectivités interviennent dans l’installation de nouveaux agriculteurs via l’investissement temporaire de foncier.

« Les collectivités apportent une plus-value en réimpulsant des pratiques agricoles moins présentes par le biais de leur projet alimentaire territorial (PAT), explique Julien Burtin, responsable des partenariats avec les collectivités de la Safer Bourgogne-Franche-Comté. Le sujet de l’alimentaire est revenu dans les discussions des élus, et par le même coup, le sujet agricole ». Le programme national pour regrouper les différents acteurs de l’alimentation sur un territoire a été lancé en 2016. En avril 2023, 430 PAT, avec parfois un volet foncier, étaient initiés par des communes, des départements ou des régions.

Des régions proactives

Pionnières de ce nouvel interventionnisme agricole, ces dernières sont nombreuses à avoir mis en place leur propre fonds de portage en partenariat avec les Safer. La foncière agricole d’Occitanie créée en juin 2022, est issue de la volonté d’une région « ambitieuse en matière de soutien à l’agriculture », explique Emmanuelle Laganier, responsable de la foncière.

L’Occitanie investie à hauteur de 60 % de la société par actions simplifiée (SAS) de 13 actionnaires. Elle intègre notamment la Safer, la chambre régionale d’agriculture, des banques locales et des coopératives agricoles. En 2023, huit dossiers ont été instruits par la foncière. Elle peut acheter l’entièreté ou une partie du foncier et diffère la charge pour les repreneurs de 4 à 9 ans selon les besoins, pour un montant maximum de 150 000 euros par exploitation.

Souvent, le recours au fond de portage arrive en dernier lieu, quand la banque n’a pas accepté divers prêts, parfois dans l’urgence. « La problématique foncière n’attend pas. Avec le fond de portage, on a l’avantage d’acheter en quelques mois », soutient Emmanuelle Laganier. La foncière propose aussi d’intégrer les collectivités locales au processus en leur faisant prendre en charge les frais de portage. À chaque collectivité son montage financier pour accompagner l’installation. L’avantage commun réside en l’absence de profits de ces fonds de portage publics, qui permet aux installés de racheter après 4, 7 ou 12 ans, le foncier au prix de l’achat originel, majoré des frais de portage.

La ceinture verte de Limoges reverse des parts sociales de la SAS qui installe des maraîchers en contrepartie de leur loyer. À Pont-Saint-Martin, le loyer du portage sera soustrait au prix de vente huit ans plus tard.

Vision politique

Ces caractéristiques vont parfois jusqu’à des critères précis portés par une vision politique de la collectivité.

À Limoges, les maraîchers sont installés en agriculture biologique. « Souvent, les collectivités n’acquièrent pas du foncier pour les filières dominantes du territoire mais pour des projets diversifiés en lien avec du circuit court vers de la restauration collective », explique Julien Burtin. « Ce sont des porteurs de projets plus spécifiques. Or, plus vous mettez de critères, plus vous restreignez les possibilités de trouver un repreneur ». Si la question du bio ne pose pas de problème à Limoges, avec « une majorité de maraîchers militants », « la proximité d’une ville joue dans l’installation », reconnaît Bernard Thalamy, en charge du PAT et vice-président de l’agglomération.

Cet interventionnisme peut aussi être vu d’un mauvais œil de la part des institutions agricoles. « Au départ, notre action a été prise comme de l’ingérence par la chambre d’agriculture et la Safer », concède Yannick Fétiveau, lors du rachat de la ferme à Pont-Saint-Martin. La ville avait d’abord déboursé 590 000 euros, mais le coût financier, après revente de matériel et de fourrage, s’est élevé à 62 000 euros. Premier achat communal dans la région, le projet a finalement reçu le soutien de la chambre. « L’objectif n’était pas de garder la ferme, on est d’abord là pour faciliter la transition. »

Malgré le coût et les défis logistiques de ce nouveau domaine de compétences, le défi de relocaliser une production variée pour les habitants convainc les collectivités de leur rôle, encore naissant, dans cette transition. « On a labouré, il n’y a plus qu’à attendre que les choses germent désormais », symbolise Bernard Thalamy.

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