Agrivoltaïsme : difficile de trouver sa place au soleil
Si des voix s’opposent à voir des panneaux ombrager des parcelles agricoles, l’engouement autour de l’agrivoltaïsme est bien là. De plus en plus d’agriculteurs et d’énergeticiens montent des projets non sans devoir faire face à certains obstacles et levées de boucliers.
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Une simple phrase peut parfois faire beaucoup de bruit. Celle dans laquelle Emmanuel Macron a ciblé le 25 septembre dernier l’agrivoltaïsme comme un des « mécanismes de revenus complémentaires « en réponse « à la baisse des rendements « agricoles lors de la présentation de la stratégie de planification écologique pour le monde agricole le 25 septembre dernier en fait partie. Si elle a fait bondir certaines organisations dont la Confédération paysanne qui s’oppose à l’installation de panneaux solaires sur des sols agricoles, elle a conforté les énergéticiens qui sont de plus en plus nombreux à se positionner sur ce créneau, tout en attirant de plus en plus d’agriculteurs notamment dans les zones dites intermédiaires.
« Un parcours du combattant »
« Nos exploitations sont de plus en plus menacées par le contexte climatique et notre modèle économique dans nos régions est remis en cause, il nous fallait absolument une diversification de nos revenus et une mutualisation de nos moyens de production », expliquait Jean-Philippe Frossard, céréalier en Haute-Marne lors d’une table-ronde organisée le 25 octobre 2023 au salon Agrimax à Metz. « Pour se diversifier et ramener de la matière organique » à ses sols, il a créé un groupement avec trois autres agriculteurs. Ils ont pour projet de mutualiser une partie de leurs terres qui étaient en grandes cultures pour y disposer des panneaux photovoltaïques et un élevage ovin de 600 à 700 brebis.
Plus qu’un complément de revenus, le loyer versé par l’énergéticien est vu aussi comme un moyen de pérenniser l’exploitation. Grâce à un loyer de 2 750 € versé par Engie Green par hectare et par an pour un parc solaire de 27 hectares mis en service il y a deux ans, Francis Auriol, qui a repris l’exploitation dans l’Aude de son frère qui avait lancé ce projet, n’en démord pas.
« C’est avec ce revenu supplémentaire qu’on a pu pérenniser l’exploitation mais aussi investir en agrandissant un bâtiment, témoigne-t-il. Onze ans se sont écoulés entre la prise de contact avec l’énergéticien et l’inauguration de l’installation. C’était un parcours du combattant. Il a fallu obtenir l’acceptabilité du voisinage et la commune avant de faire toutes les études et les démarches nécessaires. » Le passage en commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPenaf) en fait partie.
Des CDPenaf exigeantes
Sur le terrain, plusieurs d’entre elles refusent actuellement de donner un avis favorable à des projets où l’activité agricole est qualifiée « d’alibi » à la production d’électricité. C’est le cas notamment dans l’Allier. « Tous les mois, deux ou trois projets sont présentés. Pour l’instant, un seul dossier a été accepté. Dans les autres, il n’y a pas véritablement de lien entre le projet agricole et la production photovoltaïque », témoigne Bruno Malhuret, qui représente la FNSEA dans la CDPenaf de son département. Pascal Charpentier, agriculteur et adhérent à la Coordination rurale et également à la tête d’un cabinet d’études agricoles qui accompagne des projets en agrivoltaïsme sur toute la France, dénonce de son côté « le dogmatisme » des CDPenaf. « De bons projets avec l’installation d’un jeune hors cadre familial sont parfois refusés. Des syndicats se disent pour l’agrivoltaïsme mais cela ne se voit pas au nombre d’obstacles qu’ils peuvent mettre », ajoute-t-il.
Des projets qui pourraient revenir à la case départ
L’association France Agrivoltaïsme constate la multiplication des projets présentés en CDPenaf qui ne respecte pas, selon elle, « l’esprit de la loi relative à l’accélération des énergies renouvelables » du 10 mars 2023 qui a défini l’agrivoltaïsme et qui est toujours en attente d’un décret d’application (lire l’encadré). « Certains essayent de passer des projets de l’ancienne formule. Si on laisse passer tout ce réservoir des projets, cela causera du trouble sur le terrain et risque de saturer le réseau pour les futurs projets » respectant le nouveau cadre réglementaire encore en construction, explique Olivier Dauger, coprésident de l’association et membre du conseil d’administration de la FNSEA.
La Fédération française des producteurs agrivoltaïques (FFPA) craint que le décret ne remette à la case départ des projets lancés il y a plusieurs années. Elle estime que deux tiers des 1 000 projets portés par les agriculteurs qu’elle représente repartiraient à zéro. « Nous risquons de perdre ces agriculteurs qui attendent ces projets pour s’installer, pérenniser et transmettre leur exploitation », souligne Quentin Hans, délégué général de la fédération, qui demande qu’une période de transition soit inscrite dans le décret.
Une possibilité qu’écarte le syndicat Jeunes Agriculteurs. « Ils essayent de jouer la montre », estime Julien Rouger membre du bureau du syndicat qui se tient prêt à mener des actions en novembre en fonction des avancées du décret. La rédaction du texte dépendra des arbitrages de Matignon qui tenait la semaine dernière une réunion interministérielle sur le sujet.
Débat sur le taux de couverture
Jeunes Agriculteurs réclame que le taux de couverture maximum d’une parcelle agricole par des panneaux ne dépasse pas les 20 % au lieu des 40 % souhaités par le ministère de la Transition énergétique. 20 %, c’est la garantie pour JA que l’activité agricole reste principale à l’activité de production d’énergie.
Du côté de la Coordination rurale, c’est un taux maximum de 45 % qui est défendu afin d’apporter « de la souplesse au projet », expliquent les membres de la commission de l'agrivoltaïsme du syndicat. Cela permettrait de viabiliser économiquement un maximum de projets alors que les énergéticiens sont confrontés à des prix de raccordement qui peuvent vite grimper.
Le prix élevé du raccordement
« Le raccordement coûte très cher. Pour qu’un développeur vende son énergie à un prix tolérable pour le consommateur en bout de ligne, il ne doit pas dépasser une certaine limite de distance entre la taille de son projet et la distance qui le sépare du poste source », explique Quentin Hans.
Si l’énergéticien Photosol estime le coût du raccordement à un million d’euros le kilomètre (lire le témoignage ci-dessous), la FFPA évoque de son côté « plusieurs centaines de milliers d’euros. » Dans tous les cas, seul Enedis est capable de donner le coût précis du raccordement variable en fonction de l’ampleur des travaux à réaliser sur la base d’une étude technique et financière. Une étude dont le coût est de 1 000 euros, précisait les chambres d’agriculture de l’Auvergne-Rhône-Alpes durant une conférence organisée lors du dernier Sommet de l’élevage.
Autre frein aux projets agrivoltaïques, la saturation des postes sources sur le réseau de distribution de l’électricité dans certains secteurs. Un embouteillage qui n’est pas forcément dû seulement à l’agrivoltaïsme mais plus largement au développement de toutes les sources d’énergie identifiées dans les programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE).
« Il n’y en aura pas pour tout le monde, résume Vincent Vignon, directeur du développement de GLHD, une entreprise qui accompagne des projets photovoltaïques pour des collectifs d’exploitants agricoles. L’objectif de la PPE d’ici à 2023-2030 est de 30 000 à 40 000 hectares. » [...] « La campagne ne sera pas recouverte entièrement de panneaux photovoltaïques », ajoute de son côté Quentin Hans qui évoque un potentiel maximal de 135 000 hectares, soit 0,5 % de la surface agricole utile française.
Le partage de la valeur comme prochain chantier
Si la question du partage de la valeur de ces projets entre l’énergéticien, le propriétaire de la parcelle et son fermier a déjà émergé, ces freins et ces chiffres posent aussi la question du partage de la valeur avec les agriculteurs du territoire qui ne pourraient pas accueillir de panneaux chez eux. Une problématique à laquelle ne répondent pas la loi relative à l’accélération des énergies renouvelables et son décret. « C’est un autre chantier qui est déjà ouvert entre les parties prenantes où l’État n’intervient pas », constate Olivier Dauger.
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