Fertiliser avec de l’urine, une pratique qui pourrait changer d’échelle
Dix ans après le début des essais en microparcelles sur la fertilisation avec de l’urine humaine, une utilisation agricole est à portée de main. La recherche avance aussi sur les résidus médicamenteux et autres composés que cette ressource peut contenir.
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« D’après nos essais sur blé et maïs, l’urine fertilise autant qu’un autre engrais organique ou que l’ammonitrate, et sa forme est plus facilement assimilable par les plantes que le lisier de bovin par exemple », relève Marie Boulard, conseillère à la chambre d’agriculture de l’Île-de-France. « Le taux de protéines du blé répond également bien, et de façon comparable, entre l’urine et l’ammonitrate. »
C’est dans le cadre du programme de recherche-action Ocapi (1), qui porte notamment sur la valorisation agricole des excrétions humaines, que ces essais ont été menés. Et c’est pour fêter ses dix ans qu’une visite a été organisée chez Emmanuel Laureau, agriculteur à Saclay (Essonne), où se déroulent les expérimentations de la chambre d’agriculture sur la fertilisation des grandes cultures par l’urine depuis 2019.
En 2025 et 2026, des essais sur couverts végétaux avant maïs sont en cours. « La production d’urine étant continue, l’idée est de pouvoir la valoriser au printemps sur cultures, mais aussi l’été lors du semis des couverts, explique Maya Minaev, apprentie à la chambre. Nous souhaitons vérifier si 45 unités d’azote apportées par des urines au semis d’un couvert optimum (2) suffiraient pour réduire, voire faire l’impasse sur la fertilisation azotée du maïs qui suit. » Sachant que les sols d’Emmanuel Laureau, à forte minéralisation, présente un taux de matière organique élevé.
S’il est trop tôt pour tirer des conclusions, l’aspect visuel des couverts en ce 18 septembre ne trompe pas. Ceux qui ont eu un apport d’urine sont plus développés que ceux sans fertilisation. À suivre pour voir si cela bénéficie bien au maïs suivant.
Concentrer l’urine
Les essais sont prometteurs. Mais Christophe Dion, chef du service de l'agronomie de la chambre d’agriculture, relève que si l’utilisation de l’urine est adaptée à l’expérimentation, elle l’est moins pour un usage agriculteur. « Nos essais se font en microparcelles de 3 m x 12 m, avec une cuve, des rampes et des buses adaptées pour pulvériser un gros volume d’urine. En moyenne, les engrais de synthèse sont 100 fois plus concentrés que l’urine. Pour une même dose d’azote, il faut 100 fois plus de volume d’urine que de solution azotée. »
Emmanuel Laureau confirme. « Je reçois 30 à 40 m³ d’urines par an, en cuves de 1 000 litres stockées dans ma cour. Leur concentration est d’environ 3 uN/1 000 l. En utilisant mes buses multijets, je pulvérise 600 l/ha en roulant à 4 km/h en maïs et betteraves. Mais il en faudrait près de 20 000 l/ha pour apporter 60 uN. Avec la solution azotée (39 uN/100 l), il suffit de 150 l/ha pour apporter 60 uN. » Pour les cultures de printemps, l’agriculteur complète avec de la solution azotée. Il fertilise aussi ses couverts et parcelles juste avant de semer du colza, à 600 l/ha, soit 1,8 uN/ha environ.
Outre l’odeur désagréable à l’ouverture des cuves, l’utilisation d’urine demande aussi beaucoup de manipulations : pomper l’urine des cuves dans le pulvérisateur, changer les buses… « Je mets le double de temps avec l’urine par rapport à la solution azotée et j’apporte moins d’unités », compte-t-il. « Même en ayant recours à du matériel spécifique (pendillards), l’usage agricole semble compliqué avec ces volumes, souligne Marie Boulard, à moins de concentrer l’urine afin de multiplier par 100 la dose d’azote. » C’est une piste envisagée car avec 30 uN/100 l, la composition serait proche d’un engrais minéral.
Ce qui motive l’agriculteur à continuer les essais, c’est aussi le coût des engrais de synthèse qui grimpe. « Pour la profession, les déchets de la ville doivent arriver traités et gratuits chez les agriculteurs », rappelle Christophe Dion. Ces derniers doivent aussi être rassurés quant à la présence de contaminants pharmaceutiques dans les urines et leur devenir dans les sols (lire l'encadré).
Des microparcelles à 140 ha
« Les essais sur des microparcelles validant l’intérêt des urino-fertilisants pour les cultures, l’objectif est de changer d’échelle et de passer à des applications sur 140 ha par exemple », estime Sophie Pradié, coordinatrice à l’association Terre & Cité, qui relie ville et agriculture sur le plateau de Saclay. « Les urines aujourd’hui collectées dans un immeuble de bureau de six étages le seront peut-être demain dans le futur quartier de Corbeville, équipé pour collecter à la source les urines, où vivront 20 000 personnes. 20 000 l/jour seront alors disponibles. On croit à ce changement d’échelle dans les deux prochaines années », appuie-t-elle.
(1) « Organisation des cycles azote et phosphore dans les territoires », porté par le Laboratoire Eau, environnement et systèmes urbains (Leesu) de l’Ecole nationale des ponts et chaussées.
(2) Mélange de moutarde d’Abyssinie (2 kg/ha), phacélie (2 kg/ha), avoine rude (20 kg/ha), radis chinois (3 kg/ha) semé le 7 août 2025.
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