Login

Le marché du carbone, entre frilosité de l’offre et manque de demande

Dans son rapport, I4CE précise que l'augmentation des restitutions de biomasse par les couverts est le levier le plus mise en œuvre en grandes cultures.

Des freins restent à lever au niveau de l'amont agricole, tandis que la demande doit encore émerger.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Peur de s’engager, d’être perdant, manque d’information… Plusieurs facteurs freinent l'engagement des agriculteurs dans des démarches bas carbone. « De nombreux acteurs sont arrivés sur ce marché, ce qui contribue aussi à une impression de foisonnement : un agriculteur peut être interpellé par cinq ou six organismes différents pour aller chercher des crédits carbone », souligne Justine Lamerre, spécialiste des sujets carbone à Agro-Transfert. Elle a également mené en 2024 l’étude Acclim-Agri sur la transition bas carbone des filières de grandes cultures, financée par l’Ademe.

Les leviers bas carbone en grandes cultures, tels que la baisse de la fertilisation minérale ou l’introduction de nouvelles cultures comme les légumineuses, entraînent une prise de risque sur la production. « En plus de risquer de baisser son rendement, l’agriculteur doit aussi y consacrer beaucoup de temps, appuie Dominique Moreau-Ferellec, directeur de Carbioz, lancé en mars 2024 par le Crédit Agricole. Les méthodes doivent être crédibles et solides. Néanmoins, à force de les rendre de plus en plus performantes, elles sont de moins en moins accessibles aux agriculteurs. »

La lourdeur administrative et la saisie de données constituent un autre frein, qui tend néanmoins à s’améliorer. « Les logiciels sont stabilisés, et des passerelles numériques permettent d’automatiser la transmission de données entre les logiciels de traçabilité des fermes utilisés traditionnellement par les agriculteurs », confirme Étienne Lapierre, de Terrasolis. Il a coordonné le projet CarbonThink, sur le financement de la performance carbone des exploitations de grandes cultures. « Nous avons beaucoup investi pour que notre outil de diagnostic réponde à des critères d’efficacité : de plus de 12 heures de saisie de données, nous avons réduit à 2 heures », illustre Chuck de Liedekerke, directeur général de Soil Capital, un autre standard de certification carbone que le label bas carbone (LBC) qui opère en Grandes Cultures en France, Belgique et Royaume-Uni.

Incitation financière jugée trop faible

La rémunération liée au carbone est souvent vue comme « une cerise sur le gâteau ». Dans son rapport « Le label bas carbone : quel bilan après 6 ans d’existence ? », publié en juin 2025, l’Institute for climate economics (I4CE) estime qu’en moyenne, les projets de Grandes Cultures "génèrent" 1,27 tCO2eq/ha/an valorisable en crédit carbone, en les stockant ou en évitant leur émission, pendant les cinq ans du projet. Il estime par ailleurs le prix moyen du certificat carbone LBC à 35 €/tCO2eq. « Un agriculteur va gagner entre 10 000 et 30 000 € sur cinq ans. Les financements contribuent souvent à une prise en charge des coûts des semences de couverts d’interculture, mais ne suffisent pas par exemple à couvrir l’investissement dans du matériel spécifique. Néanmoins, ils ont le mérite d’exister », souligne Justine Lamerre.

La rémunération carbone n’est d’ailleurs pas la principale raison qui a motivé les agriculteurs déjà engagés, révèle une étude d’Agrosolutions publiée en janvier 2023 : l’intérêt agronomique ou la cohérence avec un projet de transition sont le plus souvent les principaux leviers. « Il ne faut pas s’attendre à ce que tous les agriculteurs rentrent d’un coup dans ces démarches, mais plutôt au fur et à mesure que le marché évolue, estime Chuck de Liedekerke. Il faudra du temps aux plus sceptiques. Dans un contexte où le marché volontaire du carbone a marqué une pause, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose que tous les agriculteurs ne se pressent pas au portillon. »

Crise de confiance

Le marché volontaire du carbone rencontre en effet des difficultés depuis un à deux ans, en lien notamment avec des scandales de greenwashing. « Plusieurs coups durs ont entraîné une baisse de confiance chez les acheteurs et les vendeurs, explique Carole Le Jeune, responsable carbone à la Coopération Agricole. L’enjeu de double comptabilité (voir encadré) a ralenti l’attrait de certaines coopératives pour la vente de crédit carbone. Il y a aussi concurrence avec les projets forestiers qui sont moins chers que les projets agricoles. »

Pour Dominique Moreau-Ferellec, la demande doit être générée. « L’offre est jeune, il faut l’installer dans le paysage et cela prend du temps. De plus, ces derniers mois ont été compliqués sur tous les sujets de développement durable en France. Les entreprises sont dans l’incertitude. L’absence ou le report de vote de certains budgets ont aussi poussé des collectivités territoriales à mettre entre parenthèses leur velléité de contribution carbone », observe-t-il.

Pour Carole Le Jeune, la demande n’est pas assez présente, « parce qu’il y a un problème de lisibilité pour les acheteurs, et pas assez d’obligés. » L’Etat français a crée des obligations de compensation dans les secteurs du transport aérien et des centrales à charbon, « dont les modalités sont favorables au financement des projets Label bas carbone », rapporte I4CE. « Ce n’est pas suffisant pour amorcer le marché. Les pouvoirs publics n’ont pas assez fait la promotion du dispositif », juge Dominique Moreau-Ferellec.

«La principale source d'émissions de gaz à effet de serre provient des apports d'azote, dans la majorité des systèmes de culture», souligne l'étude Acclim-Agri. (© Cédric Faimali/GFA)

Des perspectives positives

« Après une croissance du marché, on a constaté un ralentissement à la suite de l’élection de Donald Trump, dont l’agenda est plutôt climatosceptique. En Europe, certains règlements qui devaient imposer aux entreprises un reporting de leur impact environnemental ont vu leur portée réduite. Les entreprises ont ressenti moins de pression réglementaire », ajoute Chuck de Liedekerke. Il observe toutefois une « reprise d’appétit ». « De nouvelles voies émergent pour alerter sur l’urgence climatique. Avant c’était plutôt les activistes, ONG et scientifiques. Désormais, la Banque centrale européenne, les entreprises d’assurance et même la communauté financière affirment que la prochaine crise financière mondiale viendra du climat, dont l’agriculture sera un acteur central. »

Et pour I4CE, malgré la baisse du marché volontaire mondial, le Label bas carbone reste attractif, « en raison de sa crédibilité et de la possibilité de financer des projets au cœur des territoires. » Et Dominique Moreau-Ferellec de conclure : « On est peut-être en avance sur notre temps. Mais rappelons que les agriculteurs ont cette chance inouïe d’être un facteur incontournable de l’équation qui mène à la neutralité carbone. »

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement