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Le sanglier, un « roi des forêts » déchu devenu un « problème de gestion »

La population de sangliers, avant chasse, oscille entre 1,275 à 1,525 million d’individus. Un nombre amené à augmenter avec le réchauffement climatique.

Auteur de 85 % des dégâts de gibier, le sanglier est la principale cause de l’augmentation des indemnisations ces dernières années. Cela ne devrait pas changer dans les années à venir avec le réchauffement climatique.

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Comment expliquer que les chasseurs ne puissent plus à terme payer les dégâts de gibiers ? La principale réponse se cache en forêt où un animal qui en était le « roi » est devenu aujourd’hui « un problème de gestion ». C’est le constat dressé par Raphaël Mathevet, écologue, géographe et coauteur de « Sangliers, géographies d’un animal politique » aux éditions Actes sud.

D’une époque où prélever ce symbole de nature sauvage créait l’évènement – 35 000 sangliers avaient été prélevés en 1973, 50 ans plus tard, ils étaient 863 000 sur tout le territoire, 24 fois plus -, nous sommes passés dans une ère où l’animal est devenu abondant. Quittant même les bois pour s’approcher des villes, il est « banalisé » par les chasseurs mais aussi les naturalistes, relate le chercheur.

Pour les agriculteurs il reste un voisin non désiré à qui revient l’augmentation des dégâts de gibiers indemnisés ces dernières années, lui qui est l’auteur de 85 % d’entre eux. Le maïs est la principale cible. Il représente la moitié des dégâts indemnisés devant les céréales à paille pour 20 %.

Jusqu’à 1,5 million de suidés

Si Eric Baubet, chargé de recherche à l’Office français de la biodiversité qui travaille sur le sanglier depuis plus de 25 ans, estime que la population de sangliers, avant chasse, oscille entre 1,275 à 1,525 million d’individus, il suffit de peu d’animaux pour créer d’importants dégâts. Bruno Coutherut, éleveur laitier de Haute-Saône à Ternuay, le subit depuis plusieurs années au prix de prairies retournées par la bête noire. Découragé, il a décidé cette année de ne pas resemer une partie de ses prairies.

« Parfois dès la nuit suivante, les sangliers sont déjà de retour sur la parcelle remise en état », observe-t-il, impuissant. Bruno Coutherut estime que les indemnités perçues ne couvrent pas l’intégralité du préjudice avec moins d’herbe fauchée sur des parcelles abîmées. Souiller « les ensilages ou enrubannages avec de la terre est un risque butyrique pour la production laitière », explique-t-il, sans compter la casse possible de matériel.

Des dégâts de sangliers sur une prairie. (© Stéphane Leitenberger)

La situation de Bruno Coutherut est bien connue de la Fédération départementale des chasseurs (FDC) de Haute-Saône. « C’est l’exemple typique d’une personne qui subit des dégâts qui sont vraiment dommageables pour son exploitation et à qui nous allons verser une indemnisation dont elle estime qu’elle ne compense pas son préjudice, car elle réclame du foin et nous nous lui versons de l’argent, admet Paul Langlois, directeur de la FDC. Cela montre les limites de notre système. Il est dans un territoire qui est véritablement chassé, (N.D.L.R. : pas suffisamment selon Bruno Coutherut) mais il n’y a pas besoin d’une abondante population de sanglier pour causer des dégâts qui occasionnent une gêne pour la bonne conduite d’une exploitation. »

« Plusieurs milliers d’élevages de sangliers »

Pour parvenir à se multiplier et à coloniser de nouveaux territoires ces dernières décennies, le sanglier a profité de plusieurs conditions favorables. « Dans les années 1960 et 1970, avec la modernisation agricole qui a fait le succès de l’agriculture française en augmentant les rendements et en permettant d’accéder à une forme d’autonomie et de puissance d’exportation agroalimentaire, le petit gibier s’est effondré avec les intrants et l’arrachage de haies », explique Raphaël Mathevet.

« Il y a alors eu la volonté politique des institutions cynégétiques, accompagnées par l’autorité publique, de se concentrer sur le retour du grand gibier, dont le sanglier. Cela a impliqué l’élevage en captivité, des lâchers et la fixation du sanglier sur des territoires. Dans les années soixante-dix à quatre-vingt, la France comptait plusieurs milliers d’élevages de sangliers ».

D’autres éléments ont permis selon le scientifique de créer un « milieu favorable » : « l’absence de prédateurs naturels, le reboisement spontané ou non de certaines terres agricoles ingrates et la présence de vastes parcelles agricoles où ils peuvent se nourrir ». Un autre phénomène d’ampleur porte la dynamique des populations depuis près d’une vingtaine d’années aujourd’hui : le réchauffement climatique.

Le changement climatique, un accélérateur

« Même si les chasseurs agrainent moins ou n’agrainent plus, même si les chasseurs ont des pratiques moins conservatrices qu’avant, même si la régulation est sans pareil, le changement climatique peut créer localement des conditions d’explosion démographique », observe Raphaël Mathevet. Pour le comprendre, il faut s’installer sous un chêne.

Le changement climatique « accentue et multiplie les phénomènes de masting ou de glandées massives : une chênaie par exemple qui, avant, pouvait produire 200 ou 400 kg par hectare de glands tous les quatre ans, peut doubler certaines années avec l’augmentation des températures printanières et passer de 400 à 800 kg par hectare. Et, au lieu de tous les quatre ans, ces pics de production peuvent avoir lieu tous les deux ans. »

Le phénomène de « masting ou de glandées massives » participe à créer des conditions d'explosion démographique du sanglier. (© Pixabay)

Sur le long terme le changement climatique « ne semble pas augmenter la production moyenne de glands, du fait de la sécheresse et du dérèglement du tempo de la reproduction des arbres, il la rend plus erratique et vulnérable aux extrêmes », toujours selon le chercheur. Ces fruits constituent un apport calorique qui stimule la reproduction des animaux. « Les femelles vont se reproduire plus tôt, à partir de 8 mois, tout en ayant des jeunes avec un meilleur taux de survie car bien nourris », ajoute Raphaël Mathevet.

Une pression de chasse plus forte a également une incidence sur les dates de naissance plus précoces des sangliers selon une publication scientifique. Cela favorise la reproduction au cours de la première année de vie des femelles, et permet à l’espèce de continuer à croître.

Davantage de laies participent à la reproduction

« Le sanglier a une capacité de réaction assez forte aux ressources naturelles. Les fruits forestiers sont très stimulants pour la reproduction du sanglier. Lorsqu’ils sont en volume importants, davantage de femelles participent à la reproduction. Une seule femelle de plus, c’est cinq petits en plus », détaille Eric Baubet qui prédit lui « une explosion démographique » sur la base de modélisations réalisées.

Le chargé de recherche écarte en revanche l’idée que les laies puissent avoir deux portées par an. « Cette possibilité d’une double portée viable dans l’année n’a jamais été démontrée scientifiquement dans la nature, bien que cela ait été montré en captivité dans des conditions de suralimentation et de sevrage précoce, détaille-t-il. Les contraintes biologiques, le temps de gestation de 115 jours, d’élevage des jeunes et une reproduction liée à la photopériode la rendent peu probable. »

L’agrainage n’est pas la principale cause

Et quel rôle joue l’agrainage souvent pointé du doigt dans la dynamique des populations du suidé ? Si le nourrissage du gibier est strictement interdit aujourd’hui, l’agrainage dissuasif pour prévenir les dégâts est strictement réglementé. Son encadrement doit être précisé par les schémas départementaux de gestion cynégétique. Il vise à fixer les populations de sangliers en forêt pour les détourner des cultures agricoles. Cette pratique doit être réglementée par des conventions départementales, qui en définissent la localisation, la nourriture donnée et les jours de distribution.

Les conditions sont réunies pour que la population de sangliers continue de croître. (© Robert / Adobe stock)

« La tentation est évidemment grande de la part du grand public en général de stigmatiser les chasseurs en les accusant de nourrir les sangliers pour augmenter leur population, décrit Raphaël Mathevet. Cela a pu être vrai dans certains territoires et cela peut l’être encore dans certains aujourd’hui, mais globalement c’est désormais proscrit et les sangliers n’ont plus besoin de cela pour prospérer. »

« Il n’y a pas de surpopulation du sanglier »

Si après une année d’abondance de fruits forestiers, les glands se font plus rares l’année suivante, les parcelles agricoles deviennent davantage une cible. « Les sangliers vont alors s’alimenter en périphérie des forêts. Si le prélèvement par la chasse n’a pas été suffisant pendant la période de fructification forestière, il y aura beaucoup plus d’animaux à nourrir l’année suivante, ce qui exerce une pression beaucoup plus forte sur le milieu agricole », souligne Eric Baubet.

Une pression qui ne devrait pas diminuer si des solutions ne sont pas trouvées car les conditions sont réunies pour que le nombre de sangliers continue de croître. « Sur le plan purement biologique, il n’y a pas de surpopulation du sanglier en l’absence de phénomène d’autorégulation des populations car [si cela était le cas] les ressources de nourriture manqueraient, décrit Eric Baubet. Nous n’observons pas de sangliers morts de faim. En dehors de la chasse, le sanglier n’a pas de gros soucis mis à part des maladies comme la peste porcine africaine. Si cette maladie n’éradique pas les effectifs, elle les diminue drastiquement. Mais en France, il ne faudrait pas le souhaiter car cela compliquerait beaucoup la vie des éleveurs. »

La « situation précaire » des fédérations

La forte progression démographique du sanglier suit la courbe d’augmentation des dégâts qui fait grimper la facture des indemnisations réglées par les fédérations départementales des chasseurs. Ces dernières « sont dans une situation précaire, selon Raphaël Mathevet. Elles dépendent du sanglier pour leurs adhésions et leur trésorerie car cette espèce justifie la pratique de nombreux chasseurs, mais l’augmentation des dégâts grève aussi leur trésorerie via les indemnisations. »

Le problème est que les fonds finançant ces indemnisations proviennent principalement des chasseurs. Ces derniers y contribuent par trois outils déployés par les fédérations départementales : le timbre départemental grand gibier, les dispositifs de marquage comme les bracelets et boutons et la contribution territoriale, appelée aussi « taxe à l’hectare ».

Cette contribution territoriale réglée par les territoires de chasse est modulée selon les territoires et l’importance des dégâts qui y sont commis par les animaux. Avec la baisse constante du nombre de chasseurs, le coût des indemnisations repose sur de moins en moins de pratiquants et fait donc monter la facture proportionnellement pour chacun. Et plus c’est cher pour les chasseurs, plus ils sont nombreux à raccrocher le fusil selon Willy Schraen, le président de la FNC.

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