La réserve de l’Étournel, une zone de quiétude qui suscite l’inquiétude
La gestion des populations de gibiers qui se réfugient dans une réserve de chasse est un problème épineux soulèvent trois agriculeurs de l’Ain.
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Comment réguler le gros gibier qui trouve refuge dans des espaces protégés ? C’est la question qui agite le Pays de Gex à la frontière Suisse. Situé entre le massif du Jura et le lac Léman, ce territoire est marqué par la moyenne montagne et la plaine. C’est dans ce paysage que Michel Carlod, Hervé Henzer et Nicolas Pharisa sont à la tête chacun d’une exploitation sur la commune de Collonges dans l’Ain. Les trois agriculteurs critiquent ce qu’ils qualifient de « mauvaise gestion » des populations de sangliers et de cerfs qui trouvent refuge sur la réserve de chasse de l’Étournel, par les chasseurs et l’administration.
Des dégâts sur maïs et prairies
Ils en prennent pour preuve les dégâts qu’ils subissent sur leurs parcelles de maïs et prairies au sein ou à proximité du site. « L’année passée, sur 9 hectares de maïs ensilage pour mes bêtes, je n’ai récolté que trois remorques de 10 m³ », déclare Hervé Henzer. Découragé, il a décidé cette année de ne pas cultiver ses deux parcelles qui sont présentes dans les limites de la réserve de la chasse.
Le marais de l’Étournel est une zone humide qui s’étend sur quatre communes de l’Ain à la Haute-Savoie, soumise à plusieurs règlementations et intervenants dans sa gestion. Elle est traversée par le Rhône et est bordée par la ligne de TGV vers Genève, deux éléments qui ne facilitent pas l’organisation des opérations de régulation. Réserve de chasse où chasser est interdit par principe, la zone est également couverte par un arrêté interpréfectoral de protection de biotope afin de préserver son patrimoine naturel et est classée en site Natura 2000. Ce qui en fait une véritable zone de quiétude pour les sangliers et cervidés. « Les animaux peuvent y avoir la paix et malheureusement nous sommes à côté », regrette Nicolas Pharisa.
Des tirs de sangliers autorisés dans la réserve
Une paix relative puisque des actions de chasse sont menées ces dernières années dans le cadre d’un dispositif fixé par un arrêté préfectoral et un protocole d’intervention supervisé par les Fédérations départementales des chasseurs (FDC) de l’Ain et de la Haute-Savoie. Il mobilise aussi les sociétés de chasse et ACCA (1) du territoire. Face aux critiques, ces mesures sont mises en avant par la FDC et la DDT de l’Ain. C’est ainsi que depuis 2021, le sanglier peut être tiré au sein même de la réserve. Ce dispositif vient d’être complété et prolongé le 14 octobre dernier jusqu’en 2028. « Un exemple de bonnes pratiques » estime Jean Royer, chef de service protection et gestion de l’environnement de la DDT qui a permis d’augmenter les prélèvements de sangliers. « Par rapport aux cinq saisons précédentes, où 67 animaux avaient été prélevés, le protocole a permis d’en prélever 140 en quatre saisons », observe Gontran Bénier, président de la FDC.
L’annulation contestée d’une battue
Des autorisations de tirs de nuit par les lieutenants de louveterie ont été mises en œuvre, notamment au moment des semis du printemps, avec de bons résultats admettent les agriculteurs. Ils regrettent cependant qu’il n’y ait pas davantage de battues organisées au sein de la réserve. Alors que le protocole prévoit 7 battues au maximum par saison de chasse, 2 ou 3 sont organisées en pratique chaque année. L’annulation de l’une d’entre elles l’année dernière avait suscité la colère des agriculteurs qui pointaient déjà du doigt une pression de chasse jugée insuffisante.
« Ce sont les chasseurs qui sont responsables de l’organisation et la décision de procéder dépend des observations du nombre d’animaux », souligne Jean Royer. Quelques jours avant la date fixée pour la battue, le survol de la réserve par un drone thermique avait abouti à l’observation de 5 à 7 sangliers. Un nombre sous-évalué selon les agriculteurs qui l’ont contesté mais qui a conduit les chasseurs à ne pas maintenir la battue. « Mobiliser 50 personnes pour une battue lorsqu’il y a 5 ou 6 sangliers n’est pas justifié », indique Gontran Bénier, tout en admettant que cet évènement avait « mis le feu aux poudres ».
L’autre argument pour l'annuler repose sur la volonté de limiter le dérangement de la faune au sein de la réserve. Un point sur lequel veille certaines parties prenantes à la gestion de la réserve classée en zone Natura 2000, souligne le président de la FDC. Pour arriver au dispositif fixé par l'arrêté préfectoral, il fallait « argumenter auprès des membres du comité Natura 2000 qui défendent les intérêts naturalistes du site », relate Jean Royer.
Le cerf est devenu « le plus gros problème »
Si la régulation du sanglier s’améliore malgré tout, les dégâts causés par les cerfs sont devenus « le plus gros problème » selon les trois agriculteurs. Contrairement au sanglier qui s’attaque principalement aux semis de maïs sur une courte période, les cerfs eux « mangent toute l’année et de tout : maïs, blé, tournesol et herbe » indique Nicolas Pharisa. « Nous pouvons arriver à contenir les sangliers avec des clôtures électriques, mais les cerfs, c’est plus difficile, ils passent au travers et cassent tout », déplore Michel Carlod.
Installer, surveiller et entretenir les clôtures est « un travail de fou ». « Il faut faucher toutes les semaines » ajoute Hervé Henzer pour éviter notamment que la végétation touche les fils et créé un arc électrique réduisant l’efficacité de la clôture. « Il suffit d’une seule nuit où le courant est coupé pour que les animaux rentrent et gâchent le travail de tout un été », souligne-t-il découragé.
Ces contraintes sont un point de friction entre les agriculteurs et les chasseurs. Nicolas Pharisa regrette que ces derniers n’apportent plus leur aide pour parquer les parcelles. « Il y a eu beaucoup d’actions de chasseurs pour poser des clôtures, mais certaines n’ont pas forcément eu le respect qu’elles méritaient, notamment dans l’entretien et ils ont cessé d’en poser », relate Gontran Bénier. « En fonction des densités d’animaux, les clôtures atteignent leurs limites, ajoute-t-il. Elles peuvent avoir un effet positif au moment du semis, mais nous n’arrivons pas à les stopper lorsque les champs de maïs sont en lait. Ils deviennent un bonbon pour les animaux ».
Des évolutions attendues sur le tir du cerf
Contrairement au sanglier, le tir du cerf est strictement interdit à l’intérieur des réserves de chasse. Les agriculteurs réclament davantage de régulation et des battues de « brassage » pour faire sortir les cerfs de la réserve pour permettre aux chasseurs locaux d’atteindre leurs objectifs de prélèvements de leurs plans de chasse. Ils regrettent que lorsque des battues sont organisées pour le sanglier, les cerfs ne puissent pas être tirés.
Cette situation devrait évoluer prochainement. La DDT de l’Ain a annoncé la sortie prochaine d’un arrêté complémentaire pour permettre le tir des cerfs aux abords des la réserve les jours de battues de sangliers. Les chasseurs devront être postés à l’extérieur de la belle mais épineuse réserve de l’Étournel.
(1) Associations communales de chasse agréées
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