Lors d'une conférence animée par l'interprofession du bétail et des viandes (Interbev) au Sommet de l'élevage le 6 octobre 2022, les intervenants sont revenus sur les perspectives de valeur qui doivent être apportées aux éleveurs dans un contexte de décapitalisation. Parmi les solutions évoquées, la contractualisation semble être la piste la plus avancée pour sécuriser le revenu des producteurs. 

Changement de paradigme 

"Le secteur de l'abattage a réaffirmé son intention de développer les contrats pour sauvegarder les élevages et les outils", souligne Dominique Guineheux, président du Club Viande Bovine Europe (CVBE) et membre de Culture Viande. Mais si "cette volonté doit se renforcer, force est de constater que les producteurs, les opérateurs et les clients ne sont pas prêts à s'engager dans une logique de contrats à 100 %. La vérité est peut-être entre les deux", évoque Philippe Dumas, président de Sicarev et représentant pour La Coopération Agricole. Plusieurs représentants de la filière (La Coopération Agricole, FFCB, Culture Viande), intervenus lors de la table-ronde, s'accordent à dire qu'une partie des volumes et des catégories de bovins restera régie par la loi de l'offre et la demande.

"Bien que les marchés aux bestiaux soient exemptés du champ d'application de la loi, ce maillon serait voué à s'éteindre si tous les éleveurs allaitants décidaient d'engager leur production sous contrat ou en intégration", soulève Bruno Debray, président de la Fédération française des marchés de bétail vif (FMBV).

Donner davantage de visibilité

Pour le ministre de l'Agriculture, le cap doit être maintenu. "Dans le processus de décapitalisation actuel, il y va de l'intérêt des transformateurs qui se rendent compte du risque de ne plus pouvoir être approvisionnés par un certain nombre de productions. La contractualisation permet aussi de se projeter au-delà des éléments de crise", rapportait Marc Fesneau, dans un entretien accordé à La France Agricole le 7 octobre. Une vision partagée par l'interprofession, qui maintient qu'il s'agit une solution clé pour donner davantage de visibilité.

"Ceux qui ont mieux à proposer que les contrats pour sécuriser les revenus des producteurs, qu'ils le fassent", tranche Emmanuel Bernard, président de la section des bovins d'Interbev. Et d'ajouter que "dans un contexte de pénurie, il reviendra aux éleveurs d'arbitrer en fonction des débouchés qui seront les plus rémunérateurs pour eux". 

"Un contrat, ce n'est pas qu'un prix"

"Il est clair que la contractualisation constitue une véritable révolution culturelle dans ce secteur marqué par la cueillette", explique Philippe Chotteau, chef du département de l'économie de l'Institut de l'élevage (Idele). S'agissant des catégories d'animaux, "les contrats s'avèrent plus simples à mettre en place sur des bovins jeunes comparativement à des vaches de réforme par exemple", poursuit l'expert.

Avant de rappeler que, dans un contrat, on ne parle pas que du prix. "Il y a d'autres facteurs absolument prioritaires à considérer tels que la qualité, la quantité ou encore la saisonnalité des bovins contractualisés. Il faut s'assurer de la bonne préparation des animaux, qui doivent répondre à des critères bien définis". 

Des éleveurs témoignent de leur expérience

Du côté des éleveurs, les avis semblent partagés. Dominique Daul, à la tête d'un atelier spécialisé de 600 places dans le Bas-Rhin, est convaincu de l'intérêt de la démarche. Depuis une dizaine d'années, il commercialise ses jeunes bovins (JB) de race montbéliarde sous contrat. "Avant, il s'agissait surtout d'un engagement en termes de volume, payé au prix du marché. Mais depuis la naissance de la loi Egalim, les modalités des contrats ont beaucoup évolué", témoigne-t-il.

Depuis trois ans, les prix de vente des animaux sont indexés sur ses coûts de production. Les indices ont été calculés à l'échelle de sa coopérative dans le cadre d'un groupe de travail avec d'autres éleveurs engraisseurs. "Nous sommes allés très loin dans l'analyse de chaque poste de dépenses et du temps de travail passé par UTH, pour s'assurer de couvrir nos frais", poursuit Dominique, aussi représentant Interbev Grand Est (La Coopération Agricole). 

Faire preuve d'anticipation dans les discussions

Les contrats sont annuels, mais les prix de vente peuvent être revus tous les six mois si le besoin s'en fait sentir. "Et plus fréquemment, en cas d'évènement conjoncturel majeur, relève-t-il. Le dialogue est bien établi avec notre abatteur, que nous considérons comme un vrai partenaire. Pour faciliter les discussions, la clé est de faire preuve d'anticipation."

Au plus fort de la crise du Covid, "le contrat m'a permis de sécuriser mes débouchés. Sans cet engagement pris, je ne serais certainement plus éleveur aujourd'hui", confie Dominique Daul. La contractualisation, qui apporte des perspectives, lui permet d'aborder son métier plus sereinement. "C'est également un gage d'assurance vis-à-vis des banques", note-t-il. 

Certains restent perplexes

D'autres qui se sont lancés semblent vouloir faire marche arrière, surtout dans un contexte de marché particulièrement mouvant. C'est le cas de Christophe Sudriès, basé dans l'Aveyron, qui avait contractualisé une partie de ses vaches de réforme sous signe officiel de qualité Blason Prestige. Au moment des négociations, le prix proposé lui paraissait attractif mais c'était sans compter l'inflation galopante des matières premières et de l'énergie. "Je me suis très vite senti dépassé par le cours du marché conventionnel. Je ne vois aujourd'hui plus l'intérêt de signer d'autres contrats, qui visent avant tout à sécuriser les approvisionnements des entreprises de l'aval", estime-t-il. 

Au-delà du prix, le collectif "agriculteurs et négociants solidaires", hostile à la contractualisation obligatoire, y voit un risque de "cadenasser" le marché. "Le contrat fixant les critères d'âge, de poids et de conformation ne laisse pas la possibilité de réorienter ses bovins pour servir d'autres marchés si des opportunités se présentent", appuient ses membres, qui l'illustrent avec la réouverture du marché algérien aux bovins d'engraissement en début d'année, sans limite de poids.