Le 3 février 2022, deuxième jour de l’assemblée générale de la Fédération nationale bovine (FNB), était placé sous le signe de la contractualisation. Autour d’une table-ronde intitulée « Éleveurs, agissons pour se réapproprier la valeur de notre production », le ministre de l’Agriculture, appuyé par Bruno Dufayet, le président de la FNB, est venu à la rencontre des éleveurs de bovins pour les rassurer sur la mise en œuvre des contrats (1).
Alors que la décapitalisation du cheptel allaitant et le défi du renouvellement des générations occupent tous les esprits, les éleveurs comptent plus que jamais sur l’aboutissement de la loi Egalim 2 pour obtenir une juste rémunération de leur production.
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Accompagnement de l’État
« Monsieur le Ministre, nous allons aller vers la contractualisation obligatoire mais faites en sorte qu’on ne se loupe pas », lance un représentant de la FDSEA des Pyrénées-Atlantiques. « Nous sommes à un réel tournant, nous avons l’obligation de réussir, c’est la dernière chance pour l’élevage allaitant », renchérit un éleveur du Centre-Val de Loire.
La contractualisation est entrée en vigueur depuis un mois, mais peu de contrats ont été signés jusqu’ici. Les éleveurs s’insurgent contre les « mesurettes » prises par certains distributeurs pour faire patte blanche. Ils dénoncent notamment le lancement par E. Leclerc et Auchan de deux nouvelles marques de distributeur (MDD) « soutenant » les producteurs, dans le cadre des obligations instaurées par la loi Egalim 2. « Leurs engagements représentent très peu de volumes », rapporte Christophe Jardoux, président de la FDSEA de l’Allier.
Tolérance zéro
Pour Julien Denormandie, les dispositions de la loi Egalim 2 permettent aujourd’hui à la filière d’être « mieux armée pour aller au combat collégialement », avec pour objectif de « passer de la guerre des prix à la transparence des marges ».
Si le ministre compte sur la responsabilité de l’ensemble de la filière, il précise que « l’État sera intraitable vis-à-vis de ceux qui ne respectent pas la loi ». Depuis le 1er janvier 2022, plus de 250 dossiers ont été ouverts. « Cette année, nous allons multiplier le nombre d’enquêtes par quatre dans le cadre de la loi Egalim 2 », promet le ministre.
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Et à tous les éleveurs qui ont envoyé leur contrat et n’ont obtenu jusqu’ici aucun retour de leur premier acheteur, Julien Denormandie les encourage à transmettre les manquements à signalement@agriculture.gouv.fr, adresse directement reliée aux services de la DGCCRF.
La pression monte entre les industriels et les distributeurs
Bruno Dufayet, président de la FNB, témoigne tout de même d’un changement d’attitude de la part de certains acteurs de l’aval. « Un travail est en cours avec Culture Viande et la boucherie traditionnelle », indique-t-il.
« Si nous voulons que, demain, nos outils d’abattage continuent de tourner, il faudra bien sécuriser les approvisionnements et la loi doit nous permettre d’y arriver au travers de la contractualisation », appuie Dominique Guineheux, directeur des achats chez Bigard. Mais ce dernier déplore encore des points de blocage : « Des distributeurs ne veulent pas entendre parler de hausses de prix. »
« Le principe de non-négociabilité de la matière première agricole provoque une forte pression sur la partie non agricole. C’est pourquoi les négociations commerciales sont aussi tendues en ce moment, renseigne Julien Denormandie. Ce comportement-là est bien la preuve que le rapport de force se décale dans la chaîne. C’est maintenant aux éleveurs de se battre pour fixer le prix en amont à la meilleure hauteur possible, et au maillon intermédiaire de faire effet levier pour répercuter les hausses à l’aval », résume-t-il.
Les coopératives logées à la même enseigne
Autre frein qui perturbe l’avancée des contrats, « les rumeurs et intox qui circulent dans les campagnes », témoignent plusieurs participants dans la salle. Elles concerneraient un potentiel délai d’application de la loi accordée aux coopératives. Le ministre se veut très clair : « Les coopératives sont strictement tenues de respecter la loi Egalim 2, et la loi Egalim 1 aussi. »
« Du fait de sa situation singulière, le modèle coopératif a deux façons de procéder pour construire le socle de prix avec ses objectifs d’indexation : soit par l’application de la contractualisation classique, soit, par la mise en place de mesures dites similaires, informe le ministre de l’Agriculture. Ces dernières doivent alors être indiquées par des changements des textes réglementaires inhérents aux coopératives, notamment les règlements intérieurs. »
Seules les clauses d’indexation sur des contrats déjà en cours peuvent justifier des délais d’application, pour les MDD par exemple, avec des règles de rétroactivité en jeu.
« Le contrat n’enlève en rien les libertés »
Quant aux inquiétudes exprimées par les éleveurs et négociants en bestiaux encore réticents à la contractualisation, Julien Denormandie appelle à poursuivre le dialogue. « Tout ce que nous avons essayé de bâtir avec Egalim 1 était un pacte de confiance, basé sur l’incitation. Force est de constater que ça n’a pas fonctionné. D’où notre responsabilité collective de prendre des décisions parfois difficiles, comme celle de rendre obligatoire la contractualisation », justifie le ministre de l’Agriculture.
« Le contrat ne remet nullement en cause les libertés de négociation entre les deux parties contractantes, réitère le ministre de l’Agriculture. C’est simplement un cadre de discussion, qui a l’avantage de fixer les clauses d’indexation, essentielles pour gagner en visibilité. »
Philippe Auger, président d’Elvea France, confirme que les deux types de contrats diffusés au sein de son réseau, élaborés dans leur mise en forme avec la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB), n’entâche pas la philosophie dans laquelle éleveurs et acheteurs travaillent depuis 35 ans.
Dominique Truffaut, président de la FFCB, tient, quant à lui, à « lever quelques ambiguïtés » alors même que des éleveurs et négociants sont à deux pas du centre du Congrès d’Aurillac, en train de manifester contre les contrats obligatoires en bovins à viande.

« Sur le fond, la profession approuve la loi Egalim 2. Certains négociants contractualisent d’ailleurs depuis déjà bien longtemps, assure Dominique Truffaut. Mais sur la forme, il aurait été intéressant que le ministère de l’Agriculture nous interroge en amont pour éviter quelques écueils. »
Avant de rappeler que les commerçants en bestiaux assurent 75 % de la commercialisation des bovins en France. « La situation est en train de dégénérer, et je ne le cautionne pas. Un accompagnement est nécessaire », interpèlle le président de la FFCB, qui assurait faire des propositions au ministre dès le lendemain du congrès de la FNB.
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(1) Pour rappel, l’obligation de contractualisation exigée par la loi Egalim 2 s’applique depuis le 1er janvier 2022 aux bovins mâles non castrés de 12 à 24 mois, aux vaches et génisses à viande ainsi qu’aux bovins sous signe officiel de qualité.