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Pourquoi la France manque de beurre

65% de la matière grasse utilisée par l'industrie agroalimentaire est importée.

Le paiement de la matière grasse fait débat dans la filière, face à la nécessité d’ajuster la production aux besoins du marché.

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« Malgré la détente actuelle des cours du beurre, il faut s’attendre à un manque structurel de matière grasse laitière sur le long terme en France et en Europe » explique l’économiste du Cniel Corentin Puvilland au Sommet de l’élevage 2025. L’Hexagone a perdu son autosuffisance en 2017, la consommation prenant le pas sur la production de matière grasse. Début 2024 l’écart s’était même creusé : la France consommait 24,6 millions de tonnes de matière grasse en équivalent lait, pour une production de 23,4 millions de tonnes, portant l’autosuffisance à 95 %. À l’inverse, le pays a beaucoup de matière protéique sur les bras, 30 % de plus qu’il n’en consomme. En cause, un ratio taux butyreux (TB) — taux protéique (TP) du lait français inadapté à la demande. Sa valeur est similaire à la moyenne européenne, alors que l’hexagone est un des pays du monde qui consomme le plus de matière grasse par rapport à la matière protéique absorbée. En cause notamment, nos fameux croissants au beurre, sur fond de matière grasse laitière déjà beaucoup mobilisée pour la production de fromages.

Conséquence de cette grosse demande intérieure, la France détient le titre de premier importateur mondial de beurre, devant la Chine. En 2023 le pays a importé l’équivalent de 260 000 tonnes de beurre, contre des fabrications à hauteur de 403 000 tonnes selon l’Institut de l’Élevage.

Cette dépendance rend le pays vulnérable à la flambée des cotations et au manque de matière grasse à venir. Rien qu’en 2024, « nous avons importé l’équivalent de 500 millions d’euros de beurre. C’est plus que l’ensemble de notre solde agroalimentaire hors vin et spiritueux » détaille Corentin Puvilland. Quatre de nos principaux fournisseurs que sont les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne et le Danemark (70 % de nos importations) pourraient voir leur production baisser de 13 % d’ici 2035, selon la Rabobank. Les envois vers la France accuseront le coup.

« Modifier les grilles des Criel »

Face à ce constat, la filière laitière française est-elle prête à prendre un virage stratégique, à l’aune des États-Unis ou de l’Irlande ? Les collèges du Cniel ont validé dans leur feuille de route de juillet 2024 le lancement prochain d’une étude de compétitivité. Le but, relier des coûts à des leviers techniques de production de matière grasse sur les fermes, pour aboutir à des recommandations techniques. Mais derrière ce cap scientifique consensuel sur la nécessité d’améliorer les connaissances pour produire plus de matière grasse, producteurs, laiteries privées et coopératives ne s’entendent pas sur une stratégie d’incitation à la production. Les tensions se cristallisent autour des grilles interprofessionnelles qui servent de base à la valorisation des grammes différentiels de matière sèche utile (MSU) et qui n’ont pas évolué depuis 15 ans.

Les représentants des producteurs bataillent pour payer plus la matière grasse via ces grilles. « Le sujet du manque de matière grasse doit être soulevé rapidement au niveau interprofessionnel avant qu’il y ait un manque dans tous les pays producteurs » partage le président du collège producteurs du Criel Centre, Alexis Descamps. Une demande qui se heurte au refus de la Fédération nationale de l’industrie laitière (Fnil). « Nous ne sommes pas opposés à parler de valorisation de la matière grasse, mais cela doit se faire entre une laiterie et son organisation de producteurs (OP) » défend le président-directeur général de la Fnil, François-Xavier Huard. Une position tenue en partie car certains de ses adhérents ont été impliqués dans une enquête de l’Autorité de la concurrence et que des amendes colossales ont par ailleurs été distribuées pour entente sur les prix. La Fnil explique aussi que les laiteries n’ont pas les mêmes besoins et débouchés pour la matière grasse, et plaide pour le « cas par cas ».

Pour les producteurs à l’inverse, la fixation de la valorisation de la matière grasse entre livreurs et acheteurs doit avoir pour filet de sécurité les grilles du Criel, sous peine de distorsion de concurrence entre producteurs sur un même territoire. Sans compter que pour produire plus de gras sur les fermes, « il faut faire des demandes spécifiques aux centres d’insémination ou encore aux fabricants d’aliments ». Pour Alexis Descamps, difficile d’imaginer bouger cela à une échelle plus réduite que celle des interprofessions régionales.

« Paiement à la MSU »

La directrice de la Coopération laitière, Carole Humbert, se dit pour sa part favorable à « engager des réflexions dans les interprofessions pour plus d’adéquation de la production à la réalité des marchés ». Elle soutient l’intérêt de discuter d’un paiement à la MSU : « il y a la nécessité de travailler collectivement à changer de référence ». Pourquoi pas aussi débattre de la modification des grilles, sachant qu’elles « sont informatives, sans caractère obligatoire ». Il existe un cadre légal dans lequel elles sont modifiables « à la marge ». Elles devront être renotifiées au niveau européen en cas de changements plus conséquents.

Les intérêts des laiteries varient aussi en fonction de leur portée nationale ou internationale. Rians, fabricant de produits riches en matière grasse, participe à l’achat de semences de taureaux favorables à un bon TB du lait. La laiterie se dit « favorable à discuter de la valorisation de la matière grasse » avec son OP, en mettant un garde-fou : « si l’on veut être incitatif, il faut que les points supplémentaires soient mieux payés et les points au-dessous soient aussi plus pénalisés ». Les transformateurs craignent d’avoir plus de volumes de lait à cause des surplus de matière protéique. Le Cniel est attendu pour produire des recommandations techniques pour aiguiller les acteurs.

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