Les constructeurs de tracteurs dans le viseur de l’Autorité de la concurrence
L’Autorité de la concurrence pointe du doigt les contrats imposés par les tractoristes à leurs concessionnaires, qui limitent les possibilités de choix pour les agriculteurs et renforcent leur dépendance économique pour le SAV (service après-vente).
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Les charges de mécanisation anormalement élevées en France par rapport aux autres pays de l’Union européenne ont alerté la commission des affaires économiques du Sénat. Elle a saisi l’Autorité de la concurrence d’une demande d’avis concernant le fonctionnement concurrentiel du secteur de l’agroéquipement.
L’Autorité a choisi de concentrer son étude sur le secteur des tracteurs, qui représentent 40 % du chiffre d’affaires du secteur et une part important des coûts de production des exploitations agricoles. Selon Chambres d’agriculture France, le prix d’un tracteur de 170 ch a augmenté de 30 % en quatre ans. En plus du contexte inflationniste général, l’Autorité a cherché à identifier d’autres facteurs, en particulier au niveau des choix à disposition des agriculteurs au moment de l’achat d’un tracteur.
Une forte concentration des marques
Le marché du tracteur est concentré autour de quatre principaux acteurs (Agco, Claas, CNH et John Deere) qui réalisent près de 90 % des ventes en France. L’importance des investissements nécessaires, que ce soit pour le développement technologique, le respect des normes, l’homologation et la mise en place d’un réseau de distributeurs freine l’arrivée de nouveau tractoristes.
D’ailleurs, aucun concurrent sérieux n’est entré sur le marché français depuis Kubota en 2008. Néanmoins, l’autorité de la concurrence constate que ce marché est relativement transparent en raison de la mise à disposition des immatriculations de tracteurs à des opérateurs tiers (dont le groupe NGPA, propriétaire de La France Agricole).
Un contrat de concession très strict
L’Autorité de la concurrence s’est aussi intéressée de près à la distribution des tracteurs. Cette dernière est organisée par les constructeurs via un réseau de concessions généralement exclusives : le distributeur est le seul à pouvoir vendre des tracteurs d’une marque donnée dans une zone définie par le contrat de concession, de sorte que la concurrence intramarque est fortement limitée. Par ailleurs, les agriculteurs s’orientent naturellement vers un concessionnaire situé à moins de 40 kilomètres de leur exploitation (soit une heure de tracteur).
Selon l’Autorité, « si la concurrence entre les marques apparaît globalement satisfaisante, les réseaux de distribution des constructeurs s’étendant sur une très large partie du territoire hexagonal, certaines zones peuvent néanmoins rester insuffisamment couvertes, avec potentiellement dans certaines zones locales, un nombre d’opérateurs limité, voire réduit à un seul. » Mais c’est bien l’absence de concurrence entre les concessionnaires d’une même marque qui interpelle l’Autorité.
Pas de marge de manœuvre pour le distributeur
Elle relève que diverses clauses des contrats de concession sont susceptibles de restreindre la concurrence intramarque, déjà très limitée compte tenu de l’existence de clauses d’exclusivité territoriale. En échange de ce territoire sans concurrent de la même marque, certaines clauses imposent aux concessionnaires une obligation d’achat exclusif auprès du fournisseur. La plupart des tractoristes interdisent ainsi à leurs concessionnaires de vendre plusieurs marques, sauf éventuellement quand elles viennent du même groupe (New Holland et Case IH ou encore Fendt, Massey Ferguson et Valtra).
Les contrats ne peuvent pas interdire la vente passive en dehors du territoire attribué par le tractoriste, c’est-à-dire que l’agriculteur ou l’entrepreneur est libre d’aller acheter son tracteur chez un autre concessionnaire de la marque, hors de son secteur. Néanmoins, des mesures indirectes mises en place par les constructeurs telles que l’absence de prise en compte de telles ventes dans le montant des remises accordées au distributeur en fin de campagne n’incitent pas les vendeurs à faire d’effort commercial pour les agriculteurs qui ne sont pas dans leur zone de chalandise. L’Autorité invite ainsi les constructeurs à clarifier certaines clauses et à informer leurs distributeurs de l’étendue de leurs droits et obligations, notamment en matière de vente passive.
Pas assez de concurrence pour le SAV
L’Autorité de la concurrence relève enfin que sur le marché de l’entretien et de la réparation (SAV), la concurrence est encore plus limitée et les agriculteurs n’ont que peu d’options. « La concurrence des réparateurs tiers ou des concessionnaires d’une autre marque est susceptible d’être freinée par différents avantages concurrentiels dont bénéficient les concessionnaires agréés. »
« Ces derniers ont en effet directement accès aux pièces d’origine, aux logiciels techniques, aux outils de diagnostic ainsi qu’aux manuels d’entretien propres à la marque concédée et leurs personnels sont spécifiquement formés pour réparer les tracteurs de cette marque. » Les agriculteurs sont donc souvent contraints de se tourner vers le concessionnaire agréé de la marque de leur tracteur, en privilégiant de plus celui de leur secteur géographique, ce qui limite encore leur capacité de négociation et de comparaison des prix.
À ce sujet, le Sedima (syndicat des concessionnaires) a rappelé lors de sa conférence de presse du 11 décembre 2025 que l’Autorité de la concurrence lui interdisait de récolter et de compiler les tarifs d’atelier de ses adhérents. En revanche, l’affichage des tarifs est obligatoire dans chaque concession. L’agriculteur qui souhaite comparer n’a donc d’autre choix que de faire la tournée de tous les établissements.
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