La Safer pouvait garder les terres sans être inquiétée
L’absence de sanction à l’encontre de la Safer, qui ne respecterait pas son obligation de rétrocéder des biens préemptés, n’est pas anticonstitutionnelle. Elle ne méconnaît ni le droit de propriété, ni la liberté d’entreprendre.
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L’histoire
Difficile d’imaginer qu’un banal litige concernant un candidat évincé par la préemption de la Safer serait évoqué devant le Conseil constitutionnel. Et pourtant… éleveur dans le pays de Vannes, Yves avait conclu avec Robert un compromis de vente portant sur des terres et des bâtiments d’exploitation lui appartenant. Il était assorti d’une promesse de bail à son profit. Le notaire avait notifié le compromis à la Safer de Bretagne, qui avait exercé son droit de préemption. Mécontent d’avoir été exclu, Robert avait assigné la Safer en nullité de la décision de préemption.
Le contentieux
Les juges avaient écarté sa demande en considérant que la préemption de la Safer respectait les objectifs fixés par la loi. Robert avait alors saisi la Cour de cassation. à l’occasion du pourvoi formé contre l’arrêt rejetant sa prétention, il avait demandé d’interroger le Conseil constitutionnel sur la question suivante : est-ce que la possibilité pour la Safer de conserver un bien préempté au-delà du délai de cinq ans, prévu par l’article L. 142-4 du code rural, porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre, protégées par la Constitution ?
Devant les Sages, un délicat débat juridique avait été ouvert portant sur l’application de l’article L. 142-4. Ce texte autorise les Safer, pendant la période transitoire qui ne peut excéder cinq ans et est nécessaire à la rétrocession des biens acquis, à prendre toute mesure conservatoire pour le maintien desdits biens en état d’utilisation et de production. Pour l’avocat de Robert, faute de sanction lorsqu’il n’est pas respecté, le délai de rétrocession de cinq ans, auquel ces dispositions conditionnent l’exercice du droit de préemption, serait privé d’effectivité. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété, de la liberté contractuelle et de celle d’entreprendre, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, visée par le préambule de la Constitution. En s’affranchissant de leur obligation de rétrocéder les biens préemptés dans un strict délai, les Safer pourraient spéculer financièrement sur l’avenir, en effectuant des réserves foncières injustifiées, qui ne respecteraient pas la mission d’intérêt général que le législateur leur a confiée.
Mais le Conseil constitutionnel a refusé de suivre les arguments de Robert. Si le dépassement du délai prévu par le texte contesté n’entraîne pas la cession automatique du bien préempté à l’acquéreur évincé ou l’annulation de la préemption, l’éventualité d’un détournement de la loi ou d’un abus lors de son application n’entache pas, pour autant, celle-ci d’inconstitutionnalité. Et en cas de préjudice résulté d’une rétrocession tardive ou d’absence de rétrocession du bien, le candidat exclu peut exercer une action en responsabilité dans les conditions du droit commun pour obtenir réparation.
L’épilogue
La Cour de cassation devra, à nouveau, se prononcer sur le pourvoi de Robert en prenant en considération le caractère conforme à la Constitution de l’article L. 142-4 du code rural. Et elle ne pourra qu’écarter le recours dans la mesure où, en l’espèce, la durée de détention du bien préempté n’aura eu aucune incidence sur la décision de préemption.
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