Pas de préemption pour le fermier qui fait appel à une entreprise de travaux
La condition d’exploitation personnelle du fonds, exigée du preneur qui veut bénéficier d’un droit de préemption, n’est pas remplie lorsque ce dernier confie la réalisation des travaux agricoles à une entreprise.
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L’HISTOIRE. Jean s’est trouvé confronté à une situation juridique qu’il était loin d’imaginer, tant il était persuadé que le bail dont il était titulaire lui donnait l’assurance de demeurer en place même en cas de vente des parcelles louées. Aussi, quelle n’avait pas été sa surprise lorsqu’il avait appris de son voisin qu’Yvette, sa propriétaire, avait vendu à son petit-fils, à son insu, l’une de ces parcelles qu’il mettait en valeur depuis de nombreuses années. Pourtant, bien qu’il fût verbal, son bail lui permettait de bénéficier d’un droit de préemption à l’occasion de son aliénation. Aussi Jean avait-il saisi le tribunal paritaire en annulation de la vente qu’il estimait réalisée en violation de ce droit.
LE CONTENTIEUX. Jean avait invoqué l’article L. 412-12 du code rural qui dispose : « Au cas où le droit de préemption n’aurait pu être exercé par suite de la non-exécution des obligations dont le bailleur est tenu [en application des dispositions relatives à l’exercice de ce droit], le preneur est recevable à intenter une action en nullité de la vente et en dommages-intérêts ». Pour Jean, le succès de son action était assuré : en vendant la parcelle louée à son petit-fils à son insu, sans demander au notaire de lui notifier les conditions de la vente, Yvette avait bien méconnu ses obligations et agi en fraude du droit de préemption de son fermier.
Pour se défendre, Yvette, à court d’arguments sérieux, avait imaginé soutenir devant le tribunal que Jean ne pouvait bénéficier du droit de préemption, car il n’exploitait pas personnellement et directement les parcelles louées. En effet, un huissier de justice avait constaté qu’il avait eu recours à une entreprise de travaux agricoles, qui avait procédé aux semailles et aux récoltes. Jean avait donc procédé à une sous-location et ne remplissait pas la condition visée à l’article L. 412-5 du code rural, qui exige du preneur qu’il participe directement et effectivement aux travaux sur le fonds loué. Le tribunal, puis la cour d’appel, ont écarté l’argument en retenant que le recours par le fermier aux services d’une entreprise de travaux agricoles ne suffisait pas à établir l’existence d’une sous-location prohibée et ne disqualifiait pas Jean de sa qualité de fermier. Ce dernier n’avait jamais perdu la direction effective de l’exploitation, puisqu’il déterminait chaque année les cultures à entreprendre. Les juges ont donc annulé la vente effectuée au mépris du droit de préemption de Jean. Mais, saisie par Yvette, la Cour de cassation a censuré cette décision : en effet, la cour d’appel n’avait pas suffisamment caractérisé la participation effective et permanente de Jean aux travaux, laquelle ne se limite pas à la direction et à la surveillance de l’exploitation.
L’ÉPILOGUE. La décision est bien sévère pour Jean : il se trouve gravement sanctionné parce qu’il a eu recours à une entreprise de travaux agricoles. Pourtant, les fermiers sont nombreux à y recourir, quelles que soient la taille des exploitations et la nature des cultures, ne serait-ce que pour des raisons économiques, faute de disposer du matériel spécialisé dont l’usage n’est qu’occasionnel. Alors ne faudrait-il pas modifier la loi ?
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