Le don manuel devait être réduit
Le défunt avait, de son vivant, donné une forte somme d’argent à un ami. Cette libéralité portant atteinte à la réserve héréditaire, elle devait être réduite à la quotité disponible lors de l’ouverture de la succession.
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L’HISTOIRE. Lorsqu’un défunt laisse des enfants ou un conjoint survivant, il ne dispose pas, de son vivant, d’un droit absolu sur son patrimoine. Il est en effet contraint de respecter les droits de ces héritiers, que la loi qualifie d’héritiers réservataires. Aussi, il ne peut disposer librement que d’une partie de son patrimoine nommée « quotité disponible ». Hervé ignorait certainement cette obligation lorsque, quelques jours avant son décès, il avait, à l’insu de sa famille, donné à l’un de ses amis, Yves, une importante somme d’argent, en lui remettant un chèque du montant correspondant. Lors de l’ouverture de la succession, ses enfants ont pris connaissance de la situation : ils ont constaté que le don de leur père obérait sensiblement l’actif successoral et dépassait largement la « quotité disponible ».
LE CONTENTIEUX. Les enfants d’Hervé ont sollicité, devant le tribunal de grande instance, la réduction de la part du don excédant la quotité disponible. Il est vrai qu’ils n’étaient pas à court d’arguments : la remise d’une importante somme d’argent sans écrit préalable, en l’absence de tout lien familial, deux jours avant la mort de leur père, était suspecte. En outre, la maladie dont ce dernier était atteint, qui avait provoqué son décès, avait certainement altéré son discernement. Or, selon l’article 901 du code civil, pour faire une libéralité (un don), il faut être sain d’esprit ! Mais encore fallait-il rapporter la preuve de l’absence de lucidité d’Hervé au moment de la rédaction du chèque, ce qui n’était pas facile à établir. À l’appui de leur action en réduction du don manuel de leur père, les enfants d’Hervé avaient surtout fait valoir qu’il portait atteinte à la réserve héréditaire, fixée par l’article 913 du code civil aux trois quarts de ses biens. Aussi, puisqu’une partie du patrimoine de leur père, auquel ils avaient droit, avait été donnée de manière excessive, les juges devaient accueillir la demande de réduction et évaluer l’indemnité correspondante. Pourtant, ces derniers n’ont pas suivi les héritiers d’Hervé. Ils se sont placés sur le terrain de l’opération dénommée « rapport à la succession » : il s’agit de réintégrer dans le calcul de l’actif successoral la valeur de la libéralité. Et ils ont retenu que le code civil imposait le rapport des libéralités seulement à tout héritier venant à une succession, et non à un tiers à la succession qui avait bénéficié d’une donation du vivant de son auteur. Pour les héritiers d’Hervé, la solution était trop injuste. Aussi ont-ils saisi la Cour de cassation qui, cette fois, leur a donné raison : elle a affirmé, en forme de pétition de principe, que la libéralité faite par Hervé, même consentie à un tiers, qui portait atteinte à la réserve, était réductible à la quotité disponible. L’arrêt de la cour d’appel a donc été cassé.
L’ÉPILOGUE. Autrement dit, l’opération de réduction est applicable quel que soit le bénéficiaire de la libéralité, qu’il s’agisse d’un héritier ou d’un tiers. Certes, les enfants d’Hervé ne pourront pas récupérer l’intégralité de la somme donnée à Yves, mais au moins pourront-ils reconstituer leur réserve héréditaire. Une moindre consolation…
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