La paille bientôt affectée aux carburants des avions ?
Les biomasses agricoles qui entrent dans la production de carburants renouvelables vont voir leur demande exploser, en lien avec une hausse générale de la demande en énergie pour les transports, et des réglementations ambitieuses en faveur des carburants durables.
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La dernière révision de la directive européenne sur les énergies renouvelables (Red III), entrée en vigueur le 20 novembre 2023, fixe des objectifs très ambitieux, avec au moins 42 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030 et la « neutralité climatique » d’ici à 2050. En outre, Red III s’étend désormais à tous les transports : aérien — avec une réglementation contraignante sur l’utilisation de carburants à faible teneur en carbone passant de 2 % en 2020 à 70 % en 2050 — et maritime — avec là un objectif de réduction de l’empreinte énergétique.
La demande en carburant durable va alors augmenter de manière continue en Europe du fait de ces nouvelles politiques fixant des objectifs progressifs d’ici à 2050 pour le transport aérien et maritime. Ces deux secteurs représentant une part importante de la demande totale d’énergie.
Alors que cette directive va être transposée en droit national dans chaque État membre d’ici à quelques mois (1), l’Initiative pour le carbone renouvelable (2) a commandé un rapport à l’Institut Nova, sur les répercussions de Red III. Les experts de l’institut privé estiment que la demande en carburant durable en Europe va plus que doubler d’ici à 2030. Elle va être multipliée environ par quatre entre 2020 et 2050.
En conséquence, les secteurs du transport aérien et maritime vont de plus en plus attirer les matières premières éligibles à la production de carburants renouvelables, notamment la biomasse dont la demande va aussi augmenter.
Une demande trois à cinq fois plus élevée
Dans les trois scénarios étudiés par l’institut (3), la demande de biomasse nécessaire à la production de biocarburants « devrait atteindre son maximum entre 2040 et 2045, dépassant de trois à cinq fois celle de 2020 », soulignent les experts en énergie.
Toutefois, l’Union européenne cherche dans le même temps à réduire la demande de carburants dérivés des cultures vivrières et fourragères. Red III les plafonne à un point supplémentaire du niveau de l’État en 2020, ou au maximum 7 %. La directive privilégie les matières premières qui ne concurrencent pas les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux. Certaines matières agricoles, telles que la paille, le bois, les biodéchets, les cultures intermédiaires (sous conditions), peuvent donc être encore utilisées.
« La biomasse disponible est-elle suffisante pour répondre aux besoins calculés du secteur des carburants, à l’échelle mondiale et européenne ? La biomasse est-elle suffisante pour l’alimentation humaine et animale, la bioénergie, les biocarburants et les produits chimiques ? » A ces questions complexes, les experts notent en conclusion que leur rapport ne peut pas y répondre. Mais des tensions pourraient apparaître pour ces biomasses qui deviendront de plus en plus prisées dans les années à venir.
Le transport aérien, premier utilisateur
Les auteurs de l’étude prévoient ainsi une forte concurrence entre les secteurs pour l’utilisation de la biomasse dite de deuxième génération. Les quotas contraignants pour l’énergie utilisée par l’aviation et la forte demande de ce secteur risquent de faire grimper les prix. Et la quasi-totalité de la biomasse disponible pourrait être absorbée par le transport, au détriment, souligne le rapport, d’une « utilisation dans le secteur chimique ».
C’est un problème pour le secteur chimique qui pourrait alors se tourner vers les cultures vivrières et fourragères : « L’exclusion objectivement contestable des cultures destinées à l’alimentation humaine et animale des futurs carburants pour l’aviation offre l’occasion d’utiliser ces cultures pour le secteur chimique », souligne le rapport commandé par le RCI. Et les experts de poursuivre dans leur raisonnement : « La modélisation montre qu’il est possible d’accroître l’approvisionnement de l’industrie chimique en amidon, en sucre et en huile végétale en 2050 dans le cadre d’un scénario de haute technologie modérée sans compromettre la sécurité alimentaire. »
À noter qu’au travers de ce rapport, les membres du RCI appellent notamment « les législateurs de l’Union européenne à prendre en compte ces idées lors des prochaines révisions de politiques ». Pour le secteur agricole en tout cas, cette analyse prospective donne sérieusement à méditer quant au devenir de la biomasse. Sans compter que la problématique de l’approvisionnement en biomasse n’est pas spécifique à l’Europe. La demande en carburant durable devrait connaître une hausse continue partout dans le monde.
(1) La deuxième révision de la directive Red sur les énergies renouvelables a été publiée au Journal officiel le 31 octobre 2023 et entrée en vigueur le 20 novembre de la même année. Les États membres ont 18 mois pour la transposer en droit national.
(2) La Renewable Carbon Initiative (RCI) est un réseau mondial de plus de 60 entreprises qui soutiennent la transition du carbone fossile vers le carbone renouvelable pour tous les produits chimiques et matériaux organiques.
(3) Le cabinet d’expert a testé deux scénarios qui misaient sur une plus ou moins forte utilisation de biomasse et un troisième scénario où les carburants synthétiques occuperaient relativement plus le marché.
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