Login

Référendum d’initiative partagée Cabale contre l’élevage

Associations animalistes et environnementales, militants antispécistes et investisseurs déploient l’artillerie lourde. Avec un référendum d’initiative partagée et une proposition de loi sur la maltraitance animale, ils entendent faire monter en pression le sujet de l’élevage d’ici à la présidentielle de 2022.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Sylvie Goy-Chavent n’en revient pas. La sénatrice UDI s’est retrouvée malgré elle sur la liste des parlementaires signataires du référendum d’initiative partagée­ (RIP) sur les animaux. Après maintes protestations, son nom a été retiré samedi. « Voilà comment cela s’est passé, nous explique-t-elle. Je me suis exprimée à plusieurs reprises contre la chasse à la glu. Sur Twitter, une connaissance m’a demandé, il y a quelques semaines, si j’y étais toujours opposée. Ce que j’ai confirmé. J’ai sans doute répondu trop vite… »

 

C’est un ami agriculteur qui l’alerte de sa présence parmi les partisans : « J’ai immédiatement demandé que mon nom soit retiré. Je suis fille d’éleveurs, mon père était lieutenant de louveterie. Je suis très loin des idéologues végans ou antispécistes. » Combie­n d’autres parlementaires sont dans ce cas ?

 

À lire aussi :Cause animale, « ma signature ne figurera pas sur le RIP » (07/09/2020)

 

Pour agrandir l’infographique, clic droit, puis ouvrir dans une nouvelle fenêtre

</

Le Parlement résiste

D’après les promoteurs du RIP et leur site Referendumpourlesanimaux.fr, 137 députés et sénateurs de tout bord leur ont apporté leur soutien depuis le 2 juillet, date de lancement de la procédure. 136 en réalité depuis lundi, après que le secrétaire d’État à la Ruralité, Joël Giraud, a annoncé ne plus être en mesure de s’y associer. La course aux voix se poursuit donc, car il leur faut rassembler 185 signatures parlementaires, puis viendra le temps de convaincre au moins 4,7 millions de Français pour espérer transformer leurs revendications en une proposition de loi référendaire. C’est la procédure RIP, ou la combinaison d’un référendum classique et d’une pétition qui vise à faciliter le débat.

 

Mais en pratique, l’instrument se révèle aussi clivant que stérile. Les tensions autour de la condition animale n’ont même jamais été aussi exacerbées. Avec, au cœur des débats, les réelles intentions des instigateurs du référendum. Il a, en effet, été initié par le végétarien Hugo Clément, trois patrons du Net - Xavier Niel, du groupe Iliad (Free), Marc Simoncini, fondateur du site Meetic, et Jacques-Antoine Granjon, de Veepee (ex-vente-privée.com) -, ainsi que par une vingtaine d’associations environnementales et animalistes, dont L214. Des animaux domestiques au cirque, en passant par la chasse, leur ambition affichée est de traquer la maltraitance.

 

C’est pourtant bien l’élevage qui mobilise leurs efforts, ainsi que leurs intérêts, dénonce Jocelyne Porcher, sociologue et chercheuse à l’Inrae. « Dans le livre Cause animale, cause du capital paru en 2019, je montre la collusion d’intérêts entre les industriels, les multinationales, les biotechnologies et la cause animale, explique-t-elle. Ces liens avec l’argent étaient jusqu’ici cachés. Ce qui est nouveau avec ce RIP, c’est la façon décomplexée de les assumer. Même si ça n’est pas dit, « la viande cultivée (N.D.L.R., à base de cellules souches ou issues du muscle de l’animal) est la solution implicite de ce référendum­. »

Méthode décomplexée

Xavier Niel assure qu’il a eu un déclic en voyant les vidéos de L214 : « Qui peut le croire ?, reprend la chercheuse. Pourquoi ne pas favoriser dans ce cas les élevages paysans ? Ils n’y font même pas mention. Mon hypothèse est que ce référendum sert à construire la demande autour des alternatives à la viande et plus largement aux produits animaux. Les études de marché suggèrent, en effet, que les consommateurs accepteront davantage la “viande cultivée” si elle renvoie à un refus des systèmes industriels. »

 

À travers son fonds d’investissement Kima Ventures, Xavier Niel soutient la start-up 77 foods et Les nouveaux fermiers, qui produisent des substituts de viande à base de végétaux, rapporte de son côté la Coordination rurale, qui s’oppose au projet de référendum. Xavier Niel a, par ailleurs, écarté les chevaux de course du débat, alors qu’il s’emparait, en juin, du groupe de presse hippique Paris Turf. « Ce qui m’ennuie, c’est que des politiques tombent dans son panneau, s’étonne Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, qui ne soutient pas le RIP. Les méthodes des organisations antispécistes comme L214, font l’effet d’un rouleau compresseur sur les élevages. Bien sûr, il faut avancer sur le bien-être animal, mais les politiques, en signant, vont à contresens. »

 

Pour Étienne Gangneron, vice-président de la FNSEA, « tout cela est une manière d’instrumentaliser les citoyens tout en faisant marcher le business. Ça a commencé à déraper quand des réseaux sociaux ont pris L214 pour référence scientifique. » Selon l’éleveur, le RIP s’inscrit dans un agenda présidentiel destiné « à faire monter en puissance le sujet de la maltraitance animale d’ici à 2022 ».

En débat le 8 octobre

En août, un sondage Ifop, mené pour la Fondation Brigitte-Bardot et publié en avant-première dans Le Monde dont Xavier Niel est actionnaire, concluait à « une forte sensibilité des Français à la cause animale ». Et le 25 août, on apprenait qu’une proposition de loi, emmenée par cinq députés du groupe Écologie démocratie solidarité (EDS), dont Cédric Villani et Matthieu Orphelin, avait été déposée à l’Assemblée nationale. En débat dans l’Hémicycle le 8 octobre, elle reprend les dispositions du RIP et introduit un article sur la création d’un fonds de soutien pour accompagner les acteurs dans la transition, elle repousse aussi certains délais. « Nous ne sommes pas contre les éleveurs, confie Matthieu Orphelin, signataire du RIP. Nous voulons un débat rapidement. C’est pourquoi nous avons déposé ce texte qui a été très bien accueilli par les lanceurs du RIP. J’ai échangé avec Hugo Clément, c’est en phase avec leurs actions. »

 

En attendant, dans les coulisses du Parlement, politiques, associations, militants et syndicats continuent de démarcher les parlementaires jusqu’à semer la zizanie au sein des groupes. à l’image de celui de la majorité : si le député Jean-Baptiste Moreau voit dans le RIP « un cheval de Troie cachant d’autres revendications » et s’y oppose, son collègue, Loïc Dombreval, qui avait sollicité en 2018 une mission sur l’agriculture cellulaire, a fait part de son soutien : « Il a fallu trois ans de combat pour que la condition animale soit enfin inscrite à l’agenda politique. »

 

Certains finissent aussi par retirer leur voix. « Ils avaient signé, nous disent-ils, sans se rendre compte de l’impact délirant sur les filières », reprend Étienne Gangneron. Hugo Clément et Xavier Niel prévoyaient de gagner le cap des 185 signatures parlementaires début septembre. Raison probable pour laquelle la proposition de loi d’EDS paraît : si elle ne débouche pas sur un vote, elle relance dans tous les cas le débat sur le RIP. La procédure ne prévoit aucun délai butoir quant à l’acquisition des 185 signatures. Ce ballon d’essai risque ainsi de planer encore longtemps au-dessus des têtes, tout en continuant à semer ses graines dans l’opinion publique.

Rosanne Aries

 

 

 

 

 

 

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement