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« Les odeurs de la ferme m’ont révélé mon destin de parfumeur »

Isabelle Ferrand-Halle,53 ans, fille d’agriculteurset créatrice de parfums (1).

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«J’ai grandi dans une ferme à l’écart de Bohain-en-Vermandois (Aisne). Pendant la moisson, Papa nous embauchait. Presser la paille était ce que je préférais. Je plongeais alors dans tout un univers olfactif. Depuis ma tendre enfance, je suis très attirée par le monde des odeurs. L’éducation de mon odorat s’est aussi faite avec maman, qui était excellente cuisinière, et qui aimait porter Chanel et Givenchy. Je l’accompagnais à la petite parfumerie locale.

À 12 ans, un jour où je conduisais le tracteur, j’ai soudain compris que je voulais travailler dans le monde du parfum, et continuer à traquer les émotions olfactives chaque jour de ma vie. Je rêvais d’accéder à toute la palette du parfumeur au-delà des simples odeurs de la nature. Papa était prêt à m’acheter une boutique, mais je voulais créer des fragrances.

J’ai donc étudié la biochimie à Paris, puis j’ai passé en 1983 le concours de l’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire (Isipca), à Versailles (Yvelines). À l’oral, je devais expliquer ma motivation. J’ai naturellement parlé de mon univers olfactif : le cheptel de vaches laitières, les moissons, la chasse. J’aimais accompagner mon père dans cette dernière activité. À l’automne, les effluves abondent. Le sous-bois est sec puis la terre se gorge d’eau. Je me remémore cette odeur d’humidité, la note minérale du silex de la pierre à fusil, le fumet des plumes de perdrix et de la fourrure du lièvre, l’odeur du sang et des gibiers faisandés.

Lors de cette épreuve devant le jury, il y eut un coup de cœur entre Monique Schlienger, professeure de parfumerie, et moi. Elle avait aussi passé son enfance dans une ferme, lieu où les senteurs changent au fil des saisons.

Durant l’été, j’ai reçu une réponse négative de la prestigieuse école. J’ai laissé tomber la lettre par terre, et suis partie en courant pleurer dans une pâture. C’était le drame de ma vie. Tout s’effondrait. Je n’avais pas imaginé que je n’y entrerais pas. à la rentrée, pour ma plus grande joie, Monique Schlienger me recontactait et me proposait de travailler à ses côtés dans son agence de création de parfums. Je suis devenue son assistante technique, puis son associée, avant de prendre sa succession en 2004 avec une réelle fierté. »

Propos recueillis par Alexie Valois

(1) Présidente de l’agence Cinquième Sens ( Paris 7e).

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