« Nos oliviers ont pleuré des larmes de sang »
Jacqueline Bellino, 70 ans, est oléicultrice à l’Escarène, dans les Alpes-Maritimes.
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«L’hiver dernier, il a bien neigé. J’ai pris des photos des oliviers qui ployaient sous le poids de la neige. C’est un spectacle dont je raffole, tant il est devenu rare. Je n’étais pas inquiète. Ces arbres craignent surtout les brusques écarts thermiques.
Le soir du 1er mars, un froid sec peu ordinaire (- 5 °C) glissait sur l’épais manteau blanc. Je suis sortie, de nuit, tendre l’oreille. Je repensais au gel massif de l’hiver 1956 en Provence : « La nuit où l’on entendit crier les oliviers » (*). Les branches avaient éclaté de toute part en de sinistres grincements. Et le lendemain, sous les arbres, la neige était maculée de taches rouge sang.
Cette fois, chez nos voisins, certaines branches étaient ouvertes sur toute leur longueur. Rien d’anormal chez nous.
Trois jours plus tard, je passe en revue mes troupes, sujet par sujet. J’examine les jeunes rameaux : aucun ne présente les coupures caractéristiques du gel ; aucune charpentière n’est fendue. Je suis rassurée. Seules quelques feuilles nouvelles se parent d’un vert translucide inhabituel. Mais une semaine après ce grand froid, Gilles - mon compagnon - me dit que des feuilles encore vertes recouvrent le sol. Quant aux autres, elles sont racornies, comme dans les périodes de forte sécheresse. Les jours suivants, nos arbres continuent à se déplumer. Nous commençons une taille sévère, pour supprimer les rameaux les plus secs.
Je caresse l’écorce rugueuse de notre olivier millénaire. Il semble mort, tout comme la centaine de sujets plantés en l’an 2000, et que nous avons vu grandir avec fierté. Leur spectacle me fait mal, je les couve du regard, les encourage à reprendre vie. Il faut éliminer le plus possible le bois touché. Chaque coup de sécateur résonne dans ma poitrine. Cela prendra du temps, deux ou trois ans à tailler les jeunes rameaux et les branches fendues, à supprimer les gourmands, à traiter contre les maladies, à arroser nos quatre cents arbres pour les fortifier. Ils sont très fatigués, il n’y aura donc pas de récolte cette année. C’est difficile de voir le travail de vingt années anéanti. Mais l’olivier ne nous a-t-il pas appris à être patients ?
J’ai fini par admettre l’évidence : c’est bien leur sève qui s’est écoulée en taches rouges sur la neige. Cette nuit-là, ils ont pleuré des larmes de sang. »
Jacqueline Bellino avec Alexie Valois
(*) Dans Cantate de l’huile d’olive, de Jacques Bonnadier, Éditions A. Barthélemy.
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