Login

Zones défavorisées Un découpage à tâtons

Le projet de carte pour 2019, encore très flou, ne satisfait personne.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

«Clarifier le sujet », « prendre des engagements clairs avec un objet clair », « dire les choses de manière très claire »… En présentant ses vœux agricoles, le 25 janvier en Auvergne, le président Macron a fait vœu de clarté au sujet de la révision du zonage ICHN. Le lendemain, au sortir de la réunion de travail qui se tenait au ministère de l’Agriculture, les responsables professionnels étaient clairement déçus !

Une carte qui fait tache

La carte présentée le 20 décembre aux organisations professionnelles (voir ci-contre) reste la base de travail. La seule évolution proposée le 26 janvier consiste en quelques poignées de communes qui pourraient être réintégrées en calculant les critères de classement à un échelon plus fin que la petite région agricole (PRA). Ceci uniquement dans les zones qui le justifient, soit les 10 % de PRA les plus étendues de l’Hexagone. Il s’agit donc d’une modification à la marge. Et dans l’ensemble, le zonage reste imprécis.

« On a juste une carte de France en format A4 avec des taches de couleur », critique Geneviève de Brach, éleveuse dans le Cher et représentante de la Coordination rurale. Or ces taches ont changé de contours ou de couleurs depuis le 12 avril 2017, date de la précédente carte présentée aux organisations professionnelles. Résultat : « On voit qu’on perd des communes mais on ne sait pas lesquelles… Et n’ayant pas non plus la liste des critères et curseurs appliqués pour le classement, on n’a pas les éléments pour proposer des ajustements. »

Même amertume du côté de la Confédération paysanne. « Il n’y a rien de réglé, et c’est toujours la faute de l’Europe », ironisait Yann Vétois en sortant de la réunion. Il prévoit une « catastrophe » si les vastes pans de territoire occitan exclus du projet de classement ne sont pas réintégrés. Il parle en connaissance de cause : pour son exploitation de l’ouest de l’Aude, l’ICHN représente 13 000 €. « Dans notre PRA, l’élevage est déjà en déprise et on a vécu trois années de sécheresse… Si on perd cette aide, c’est la catastrophe », répète-t-il.

Déjà donnée comme grande perdante de la réforme avec le département des Deux-Sèvres, l’Occitanie a reçu le coup de grâce entre le 12 avril et le 20 décembre. D’une part, le critère emploi agricole, qui devait reclasser une grande partie de la région, a été abandonné car Bruxelles n’en voudrait pas. D’autre part, la partie du zonage basée sur les critères biophysiques européens (les zones soumises à contraintes naturelles, ou ZSCN) a été réduite, à la suite d’un changement de méthodologie imposé par Bruxelles. Certains territoires, qui se trouvent ainsi exclus par les critères européens, sont repêchés par les critères nationaux et passent de ce fait de ZSCN à ZSCS (zones soumises à contraintes spécifiques). Mais pas tous.

Perte sèche en Occitanie

« C’est le critère élevage extensif qui rattrape la plupart des territoires sortants des ZSCN, notamment en Bourgogne et dans le Centre, relève Philippe Jougla, président de la FRSEA. Mais il ne fonctionne pas en Occitanie. On nous avait dit que la couche ZSCN ne devrait pas bouger. Finalement, ce zonage socle est modifié, faisant perdre au total presque 5 millions d’euros d’ICHN par an aux éleveurs de la région ! » Il ne décolère pas. À cause des taches qui ont rétréci sur la carte, mais aussi et surtout à cause de celles qui ont changé de couleur. Car les communes passant du vert (ZSCN) au jaune ou bleu (ZSCS) sont certes sauvées, mais elles posent un problème. À la différence du zonage vert ZSCN, sans limite de surface dès lors que les critères biophysiques sont réunis, les ZSCS ne peuvent pas couvrir plus de 10 % de la SAU de l’État membre. Jusqu’à présent, la barre des 10 % semblait lointaine et le frein à l’approbation de nouveaux critères de classement était surtout budgétaire. Désormais, il est aussi réglementaire.

C’est ce qui a valu à l’Occitanie de se voir refuser un critère sur lequel reposaient beaucoup d’espoirs. En effet, à la suite de la réunion du 20 décembre, les professionnels et élus de la Région avaient proposé un critère combiné « petites parcelles et haies ». Le ministère a fait les simulations et rendu son verdict le 26 janvier. Ce critère est techniquement bon puisqu’il permet de classer plus de 700 communes et 700 000 ha. Mais il conduit à dépasser de 2 % la part maximale de SAU pouvant être classée en ZSCS.

Philippe Jougla aimerait croire que le problème puisse être réglé en réintégrant autant de zones que nécessaire dans le zonage socle ZSCN. Et réclame à cette fin plus de transparence sur le changement de méthode qui a conduit des ZSCN à devenir ZSCS. « Soit l’Inra avait fait du bon travail initialement et on le défend devant l’Europe, soit c’était du mauvais travail et on reprend tout… » Son scepticisme se fonde en partie sur les anomalies de classement « biophysique » relevées par la profession en Occitanie (lire l’onglet ci-contre). Mais sa proposition est peu entendable. Surtout depuis qu’Emmanuel Macron, le 25 janvier, a fixé l’échéance à mi-février pour disposer d’une « carte claire ».

À marche forcée

Une précipitation que critique la profession. Le début des échanges avec la Commission était prévu pour les premiers jours d’avril. « On pensait avoir encore un mois et demi pour travailler la carte mais on n’a plus le temps d’ajouter des critères. On peut encore les affiner, mais cela risque de ne pas être satisfaisant », regrette François Beaupère, représentant des chambres d’agriculture. « Pour l’Occitanie, le ministère a accepté de réétudier le critère haies et petites parcelles avec des curseurs plus discriminants, afin de sauver le maximum de communes sans nous faire dépasser le plafond de 10 %. »

Les deux semaines à venir devraient aussi être cruciales pour les Deux-Sèvres. Dans ce département où les deux tiers des communes sont actuellement classées, 1 132 exploitations, soit plus de 1800 agriculteurs, perdraient l’ICHN, pour un total de 9,190 M€ en 2016. Principalement en cause : un chargement moyen supérieur au plafond de 1,4 UGB/ha. Sauf que ce chiffre date du recensement de 2010. Depuis, le chargement a connu une forte baisse sur de nombreuses communes, comme le prouvent les chiffres collectés par la profession avec le concours de la DDT.

Trois jours après leur manifestation conjointe du 26 janvier, les quatre syndicats du département ont été reçus au ministère. Après deux bonnes heures de discussion, Alain Chabauty, président de la FDSEA, s’est dit confiant dans la « bonne volonté » montrée par les agents du ministère, « parfaitement conscients de [leur] situation, très à l’écoute et prêts à travailler jusqu’à la dernière seconde ». En pratique, pas question de changer l’année de référence pour les critères de classement (un tel chantier au niveau national n’est pas possible). En revanche, la baisse de chargement constatée pourrait être utilisée pour invoquer un critère de déprise dans le département. Mais le problème se repose : chaque territoire réintégré sur la base de critères nationaux risque de nous faire dépasser le plafond des 10 %…

Le temps presse. Pour arrêter le zonage en quinze jours, il va falloir prendre, vraiment, des arbitrages « clairs ».

Bérengère Lafeuille

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement