La cérémonie du beurre

Dans les rayons de la grande surface de ma ville, la margarine a remplacé tous les beurres, salés ou non, allégés ou tendres, sous papier doré ou à carreaux !

Me revient à l’esprit (surtout au cœur) la « cérémonie du beurre » de mon enfance : après chaque traite, mon père ou l’employé de la ferme démarrait l’écrémeuse. La crème coulait doucement dans des pots en grès avant d’être conservée au frais dans la laiterie. Deux fois par semaine, elle était versée dans la baratte qui tournait jusqu’à ce qu’un bruit sourd signale qu’elle s’était transformée en motte de beurre. Sur l’impeccable table bleue en schiste de la laiterie, ma mère étalait alors un grand torchon de lin humidifié puis salait et travaillait à la main le beurre. Non sans avoir mis de côté le beurre de « régime », entendez par là « sans sel ». Puis, elle pesait les 500 g de chaque plaquette sur sa balance en cuivre. À l’aide d’une cuillère en bois plate, elle formait alors un impeccable parallélépipède plus ou moins jaune suivant la saison et la nourriture des vaches. Et signait son travail en frappant la motte d’une planchette gravée d’un motif fleuri. Elle l’enveloppait, enfin, dans une feuille de papier sulfurisée. Restait à déposer les livres de beurre dans une épicerie de la ville voisine, un restaurant et pour finir la tournée, la boulangerie qui détenait le secret du meilleur gâteau breton du monde.

Un jour vers 1970, mes parents, comme la plupart des agriculteurs finistériens, livrèrent leur lait directement à la laiterie coopérative. Sans regrets apparents, modernité oblige. Aujourd’hui, les enfants de ces éleveurs, surtout s’ils sont eux-mêmes éleveurs, ont envie de demander à ces transformateurs privés ou coopératifs : qu’avez-vous fait pour transformer ces lingots en poudre de perlimpinpin ? Et aux distributeurs : Qui défendez-vous en refusant de payer à son juste prix le labeur des éleveurs, et en privant les consommateurs français de leurs indispensables plaquettes ?