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C’est son avis « Notre société est embouteillée par les craintes »

Auteur de La démocratie des crédules (PUF, 2013) et professeur de sociologie à l’université de Paris Diderot, Gérald Bronner explique comment la révolution internet a dérégulé le marché de l’information, contribuant à un foisonnement des peurs, notamment alimentaires.

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Perception biaisée des risques

Pourquoi, face à notre assiette, on a tendance aujourd’hui à se souhaiter bonne chance plutôt que bon appétit ? Pourquoi ce thème de l’empoisonnement permanent s’est finalement installé comme une forme de sagesse ordinaire ? Nos concitoyens ne sont pourtant pas devenus stupides. En revanche, ils sont probablement massivement intoxiqués par des sources d’information, qui sont convaincantes lorsqu’elles n’ont pas de contre-argumentation. Cela tient d’abord à une perception biaisée du risque, sachant que, la plupart du temps, le citoyen lambda ne peut rien en savoir, sauf à être spécialiste. C’est ainsi que certains risques sont intuitivement multipliés par dix par rapport à la réalité, quand d’autres, comme les maladies cardio-vasculaires, sont très largement sous-estimés. L’explication, c’est que certains risques sont beaucoup plus médiatisés que d’autres. La rareté sur le marché de l’information va avoir tendance à être exhibée et à être beaucoup plus visible que la banalité. Le problème, c’est que cette visibilité est souvent confondue avec de la représentativité.

Concurrence sur l’info

Le marché de l’information est devenu extrêmement concurrentiel depuis l’arrivée d’internet. Il est, en plus, totalement dérégulé. Tout le monde offre aujourd’hui de l’information. Sur les questions de sécurité alimentaire par exemple, quelqu’un sur Facebook peut diffuser un lien, un blog qui dit que c’est très dangereux de manger des biscottes, de manger ceci, cela. Il peut y avoir des alertes alimentaires incessantes. Les médias traditionnels sont en concurrence par rapport à ces offres amateurs. C’est une lutte perpétuelle pour capter l’attention. Cette pression n’est pas favorable à la fiabilité de l’information, car le temps de vérification tend à diminuer.. C’est particulièrement dommageable quand cette info est technique ou qu’elle relève de la connaissance scientifique, comme les questions sanitaires et alimentaires. En effet, chacun sait que pour défaire une alerte, il faut des mois, voire des années, alors que pour en émettre une, il suffit de quelques minutes ! Auparavant, il y avait des régulateurs (journalistes, professeurs…) considérés comme légitimes pour parler dans l’espace publique. Aujourd’hui, chacun peut verser sa petite interprétation : il y a autant d’éditorialistes que de comptes Facebook !

Les plus motivés gagnent

Pour s’orienter dans ce labyrinthe, notre cerveau nous joue des tours en allant chercher l’information qui va dans le sens de nos idées. Chacun reste du coup de son côté, sans débattre. Cela crée de la radicalisation. Notre cerveau est aussi plus attentif au coût de notre action qu’à celui de notre inaction, qui peut pourtant coûter cher. Dans un tel marché dérégulé, le rapport de force est gagné par la motivation. Les conspirationnistes, par exemple, ne sont pas plus nombreux que ceux qui croient à la science, mais ils sont trois plus actifs sur la toile. Ils réussissent ainsi à instaurer une confusion entre la visibilité de leur point de vue et leur représentativité. Et cela a beaucoup d’influence sur les indécis. Si vous voulez argumenter contre eux, vous avez intérêt à être drôlement bien préparés et, comme eux, à y consacrer beaucoup de temps.. Mais qui a envie de faire cela ?

Propos recueillis par Ph. Pavard (1)

(1) Lors d’une conférence à l’Académie d’agriculture, le 15 juin.

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