C’est son avis C’est son avis
Jocelyne Porcher, directrice de recherche à l’Inra, dénonce « le monde meilleur » promis par les défenseurs de la cause animale, qui prônent la disparition de l’élevage. Pour elle, ils sont les alliés objectifs des zélateurs de la viande cellulaire (1).
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« Mon sujet de recherche de longue date, ce sont les relations homme-animal au travail : comment travaille-t-on et vit-on avec les animaux ? De fait, l’élevage est la matrice de ces relations. Je ne peux pas être d’accord sur grand-chose avec L214, qui critique “l’élevage intensif ” dans une tribune parue dans Le Monde . Il ne suffit pas de déconstruire les systèmes industriels. Il faut reconstruire d’autres rapports de travail avec les animaux, et non les détruire.
Ne pas rompre le lien
Ces associations abolitionnistes disent qu’elles réclament justice. Mais quelle est cette justice qui fait disparaître les animaux de ferme, les chevaux… ? Car on ne peut pas imaginer, comme eux, que l’on puisse vivre avec les animaux sans travailler avec eux. C’est parce que l’on travaille avec eux, que l’on tire un revenu de notre travail en commun, que l’on peut vivre ensemble. Est-ce pareil de vivre avec eux ou sans ? Je ne le pense pas. Ces relations sont fondamentales dans ce qui nous fait humain. Certes, leur appropriation par la zootechnie, l’industrie et le capital les ont détériorées. Nous devons repenser nos relations de travail avec les animaux, mais sans rompre le lien.
Ces associations cristallisent leurs attaques sur l’abattage, parce que la mort reste un sujet difficile. Mais elle fait partie du travail, car les éleveurs ne peuvent pas garder tous les animaux et leurs produits font partie de notre alimentation. La rationalité du travail en élevage s’articule aussi avec la rationalité économique. Et derrière l’abattage et la viande, il y a aussi le lait. Et cela, les végans ne le disent pas. Ils entretiennent la confusion entre le végétarisme, qui garde un lien fort avec l’élevage, et le véganisme.
Un projet anti-écolo
Les abolitionnistes ont appris à se servir des médias comme des propagandistes. Ils apparaissent pleins de bonne volonté. Mais c’est du théâtre. Ce sont des stratèges, avec des appuis puissants, comme le démontre le financement de L214 par une association américaine, Open Philanthropy Project. Chez eux, la fin justifie les moyens. L214 dit vouloir un changement de société, mais en fait, elle réalise un pas de plus dans la voie de l’industrialisation du vivant via la viande cellulaire.
Ces gens sont des serviteurs de nouvelles formes d’asservissement de notre système alimentaire au sein du capitalisme. Leurs liens avec des associations américaines renforcent le sentiment d’une propagande construite pour démolir l’élevage, et pas seulement les systèmes industriels, et aller vers la viande cellulaire.
À l’heure actuelle, cette clean meat est encore en projet. Mais il vaut mieux penser que cela va aboutir, considérant les sommes colossales d’argent englouties dans la recherche, en particulier par les membres des Gafa ou l’industrie américaine de la viande. Et anticiper. C’est un projet terrifiant, qui n’a rien à voir avec l’élevage et la protection de la planète. Je ne comprends pas que certains écologistes soutiennent ces associations qui se soucient si peu des écosystèmes. »
Propos recueillis
par Marie-Gabrielle Miossec
(1) Cause animale, cause du capital, éditions Le bord de l’eau, 2019.
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