Les précieux papiers de famille Les précieux papiers de famille
La parole des cultivateurs et celle des maîtres d’école donnent à connaître la vie des petites gens.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Éclipsés par l’abondance des traces laissées au sol et dans l’histoire par les élites rurales, dont les constructions et les archives orientent l’histoire des campagnes, les petites gens de la terre ont néanmoins aussi une mémoire. Cette mémoire peut être activée en allant sur place, dans les familles de petits paysans, pour se livrer à des entretiens semi-directifs en liaison avec les archives propres des interlocuteurs : correspondance, papiers de famille, agendas, photographies, etc.
Cette expérience montre qu’au-delà du XXe siècle, la mémoire des anciens sollicite abondamment le XIXe. Si l’on cite souvent les descriptions des paysans faites de l’extérieur par les propriétaires fonciers et les bourgeois des villes, voire les écrivains reconnus, en revanche, on n’a guère laissé la parole aux cultivateurs eux-mêmes. Nous avons une vision d’en haut.
Avant la scolarisation de la IIIe République, les écrits directs sont rares, mais non point inexistants. Les Mémoires de Valentin Jamerey-Duval ouvrent une porte sur l’univers de la pauvreté paysanne du nord de la Bourgogne à la fin du règne de Louis XIV. Les cahiers du capitaine Coignet lèvent un coin du voile sur les conditions de l’enfance paysanne à la fin de l’Ancien Régime et sous la Révolution. Les Mémoires d’Adrien Thueux (1767-1816) retracent les étapes de la vie d’un valet de charrue dans le Boulonnais. Celles de Gilbert Clain (1796-1853), fils d’un berger de Seine-et-Marne, rappellent les conditions de sa vie antérieure comme ouvrier agricole – et de celle de son propre père à la fin du XVIIIe siècle –, avant d’accéder, par étapes, au statut de grand fermier.
Ce type d’écriture s’accompagne aussi d’une production écrite de paysans intermédiaires, comme Louis Departout, du village d’Ézanville (Val-d’Oise). Celui-ci, également maître d’école, a laissé pour les années 1749-1798 un livre de raison de « petit laboureur » à deux charrues (70 hectares), situation relativement modeste en plaine de France, où la concentration des exploitations faisait triompher alors des fermes de 100 hectares ou plus. Son journal, qui consigne les recettes et les dépenses sur cinquante ans, évoque aussi quelques grands moments de sa vie, comme le pillage de sa ferme le 1er mai 1775, lors de la Guerre des farines, ou les événements de 1789 : la « confusion horrible » du 13 juillet, « la Bastille prise d’assaut » le 14, et « l’arrivée des troupes de Versailles » le 15. Pour autant, les événements familiaux surgissent parfois sous la plume du rédacteur.
C’est sur l’un d’entre eux que se clôt le Journal de Louis Departout, dont nous laissons l’orthographe pour conserver le charme du témoignage : « Novembre 1798. Le 9 de ce mois, ou 19 brumaire an 7 de la République française, à 6 heures du matin, est décédée ma chère femme Agnès-Angélique Benoist, âgé de 80 ans 7 mois et 9 jours, apprès cinquante ans de mariage que j’ai passé avec elle dans l’union la plus douce et la plus satisfaisante, mais le bonheur de ma vie est fini avec elle. A été inhuméee le lendemain dans le cimetière de l’église d’Ezenville. » Bien des écrits de ce genre subsistent dans les familles : à l’heure du numérique, il importe de les préserver.
[summary id = "10028"]
Pour accéder à l'ensembles nos offres :