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Retraités agricoles Comment joindre les deux bouts ?

Leurs pensions sont les plus faibles du pays. Un « scandale », disent-ils, contre lequel ils luttent sans faillir.Par Sophie Bergot

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C’est une des grandes injustices de notre pays, s’indigne Jean-Pierre Fétiveau, dynamique président de l’Association départementale des agriculteurs retraités (Adar) d’Indre-et-Loire : « Nous subissons la double peine : des bas revenus en période active et des retraites de misère par la suite ! »

730 €/mois en moyenne

Les chiffres du Conseil d’orientation des retraites (Cor) ne le contredisent pas : en 2015, la pension des agriculteurs s’établissait à 730 €/mois en moyenne pour une carrière complète, à raison de 870 € pour les hommes et 590 € pour les femmes (y compris la majoration pour enfants). Les polypensionnés à carrière complète, qui ont cotisé majoritairement en tant que non-salariés de la MSA, gagnent à peine 100 à 200 € de plus par mois. Un peu mieux, mais très loin de la moyenne nationale de 1 800 €/mois ! Bien loin aussi de celle des salariés au régime MSA (1 740 €/mois). Les agriculteurs sont donc bons derniers, derrière les artisans et commerçants cotisant au régime social des indépendants, qui touchent un peu plus de 1 000 € en moyenne pour une carrière complète.

Si la faiblesse du montant de la pension des 1,4 million d’anciens agriculteurs est en soi un problème, c’est aussi le décalage avec les autres catégories socio-professionnelles qui ne passe pas. Le problème vient également du mode de calcul de la retraite agricole : « Nous avons payé nos appels de cotisations, justifie Jacques Dufrechou, président de la Section nationale des anciens de la FNSEA. Mais nous sommes pénalisés par le palier des 30 points (même nombre de points acquis pour un revenu entre 7 900 € et 15 100 €), ainsi que par un calcul sur l’ensemble de la carrière et non sur les meilleures années. »

La bataille des chiffres

Certes, en 2015, a été mis en place un complément de RCO (retraite complémentaire obligatoire) pour que les pensionnés ayant une carrière complète en tant que chef d’exploitation atteignent 75 % du Smic en 2017, soit 871 €/mois net. Quelque 266 000 personnes en ont bénéficié, avec une revalorisation au prorata de leurs trimestres cotisés en cette qualité. Bilan des courses, pour les carrières complètes (150 trimestres cotisés), les anciens chefs d’exploitation ont perçu 869 €/mois en moyenne fin 2017, selon la MSA (à noter que les 10 % les mieux lotis perçoivent à peine plus de 1 080 €  !). Et les conjoints d’exploitants, principalement des femmes, 600 €/mois (mais 507 €/mois toutes durées de carrière confondues). Ce n’est toujours pas Byzance.

La claque de Macron

Sûrs de la légitimité de leur revendication, les retraités agricoles sont remontés au créneau, pour réclamer 85 % du Smic au 1er janvier 2018 pour les chefs d’exploitation, soit 987 €/mois. Une proposition de loi dans ce sens a été portée par le groupe communiste, qui proposait son financement par une taxe sur les transactions financières. Le texte avait été adopté haut la main par les députés en février 2017 - sous présidence Hollande - puis, un an plus tard, par la commission des affaires sociales du Sénat. Elle avait donc toutes les chances d’être adoptée au Sénat le 7 mars.

Pétition ou manif ?

Mais là, coup de théâtre, ou plutôt de Jarnac : quelques heures avant le vote, le gouvernement Macron use d’une procédure rarissime, dite du « vote bloqué », empêchant le vote du texte initial. « Des raisons de méthode et de calendrier. Ce n’est pas un soir de mars qu’on peut trouver 400 millions d’euros », a justifié le secrétaire d’État François Castaner, sous les huées des Sages. Le cas agricole sera donc traité dans le cadre général de la réforme des retraites, en 2020. Furieux, le groupe communiste a retiré la proposition pour la représenter le 16 mai prochain.

Deux ans à attendre. À l’association nationale des retraités agricoles (Anraf), la colère est palpable. « Bloquer le vote n’est ni républicain ni démocratique ! Il faut arrêter de nous prendre pour des moins que rien », tempête Pierre Esquerré, son président. « Très remonté contre Macron », il a lancé une campagne de signatures pour afficher la détermination des anciens, et espère recueillir le soutien de ses 40 000 adhérents, voire plus, d’ici au 16 mai. Faut-il manifester devant l’Elysée pour se faire entendre ? « On y a pensé », sourit le chef de file, tout en précisant que ses troupes « ne sont pas du genre à brûler des voitures »…

En attendant, la situation des retraités agricoles est difficilement tenable. Certes, presque tous sont propriétaires de leur maison d’habitation. C’est déjà un loyer évité. Certains ont un revenu foncier de terres ou de bâtiments en fermage. Encore faut-il que les fermiers aient de quoi payer. Au bout du compte, pas de quoi faire des folies. Alors, certains retardent leur départ à la retraite et sous-traitent les travaux à l’entreprise… ce qui reporte d’autant le renouvellement des générations.

Y laisser sa chemise

Les retraités ont-ils suffisamment anticipé, pendant leur vie active, leurs maigres retraites ? Il semble que le décalage entre les besoins et les ressources soit de mieux en mieux préparé : « À 50-60 ans, beaucoup d’agriculteurs ont encore leurs parents et ils prennent conscience des besoins du grand âge », note Marinette Bouchaud, conseillère au CGO 17. Sans compter qu’ils peuvent aussi être mis à contribution.

C’est ce qui est arrivé à des amis de Roger Tréneule, président de l’Adrad de Dordogne : « Avec 850 € pour le mari et 600 € pour son épouse, les finances étaient justes. La prise en charge des cinq ans en maison de retraite d’un de leurs parents atteint de la maladie d’Alzheimer les a ruinés. » Une expérience qui appelle jeunes et anciens à la prudence pour éviter d’être démunis et dépendants. La retraite est souvent le moment des partages et beaucoup de parents essayent d’aider au maximum leurs enfants. Au risque d’y laisser leur chemise.

Conserver la maison en pleine propriété

« Il ne faut pas tout donner, mais garder de la trésorerie et l’usufruit des biens », conseille Marinette Bouchaud (lire l’encadré p. 41), qui recommande de conserver la pleine propriété de la maison d’habitation : « Vous pourrez la vendre si vous avez besoin de déménager pour une résidence plus adaptée, sans n’avoir rien à demander à personne. » Ce que ne permet pas le statut d’usufruitier.

Organiser sa vie indépendamment des enfants est une sage précaution. Rappelons que, si les retraités sont suspectés de détenir de gros patrimoines, ce n’est pas le cas de tous : la moitié des anciens agriculteurs a moins de 177 500 € de patrimoine et les 10 % les plus modestes ont moins de 43 600 € (Insee, 2015).

Le « minimum vieillesse », mal connu

Toute personne de plus de 65 ans a droit à un revenu minimal garanti, indépendamment du montant des cotisations versées durant sa vie professionnelle. L’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), anciennement « minimum vieillesse », vient ainsi en complément d’une pension de retraite trop faible, pour porter les ressources à 833 €/mois pour une personne seule et à 1 293,54 €/mois pour un couple, au 1er avril 2018. Ce minimum garanti sera revalorisé à 903 €/mois en 2020 pour une personne seule. En 2010, 41 000 retraités exploitants agricoles l’avaient demandé.

Pourquoi les agriculteurs aux plus faibles retraites ne demandent-ils pas l’Aspa ? Ils seraient 30 % à être éligibles, mais à ne pas faire la démarche, estime Pierre Esquerré, de l’Anraf, qui regrette que « la MSA ne communique pas suffisamment sur cette allocation ». Certains y renoncent de peur qu’à leur décès, une partie des sommes reçues soit récupérée sur la partie de la succession qui dépasse 39 000 €. Or, il est une particularité pour les retraités du monde rural qui est souvent mal connue : les terres agricoles, le cheptel, les bâtiments d’exploitation, ainsi que la maison d’habitation située sur l’exploitation sont exclus totalement du champ de recouvrement (décret du 26 décembre 2011). Il est possible aussi que ce soit une question de mentalité, pour des personnes qui n’ont pas été habituées à faire appel à la solidarité nationale.

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