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Dégâts de gros gibier Un système à bout de souffle

Par Sophie Bergot et Aurore Coeuru

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Les chasseurs français viennent de battre un nouveau record : sur la campagne cynégétique, qui court du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016, ils ont abattu 667 000 sangliers, 562 000 chevreuils et 59 000 cerfs. Un tableau de chasse jamais réalisé. Pour la seule bête noire, le Gard tient le haut du pavé avec 35 000 animaux prélevés, soit près de 6 sangliers aux 100 ha dans ce département, contre 1,2 en moyenne nationale. Mais les chasseurs doivent-ils s’en féliciter ? Un tel tableau de chasse ne prouve-t-il pas, au contraire, que le gros gibier surabonde et échappe à leur contrôle ?

L’ère de la surabondance

Espèce opportuniste et très dynamique, le sanglier ne connaît pas de prédateur en dehors de l’homme. Dès lors qu’il dispose de quiétude, du gîte et du couvert, son taux d’accroissement annuel se situe entre 80 et 200 %. La population peut plus que doubler en un an. Résultat : il y aurait en France plus de 2 millions d’individus.

Chasseurs et agriculteurs se renvoient la responsabilité de cette prolifération. Pour les premiers, les chasseurs ont volontairement laissé l’espèce se multiplier. Ils dénoncent des habitudes héritées d’une époque où le gibier faisait défaut : temps de chasse restreint, prélèvements insuffisants, préservation des reproducteurs, agrainage intensif, lâchers de sangliers d’élevage… Certains gestionnaires de chasse peu scrupuleux sont aussi soupçonnés d’organiser la surpopulation de gibier pour offrir de belles prises à leurs actionnaires.

De leur côté, les chasseurs mettent en avant le changement des pratiques agricoles et, en premier lieu, la profusion des surfaces en maïs. Les conditions climatiques plus douces pourraient également améliorer la fécondité des femelles. Sans compter la multiplication des « territoires non chassés » qui constituent autant de havres de paix pour la multiplication des sangliers.

Les arguments des deux parties ne sont pas nouveaux et continuent d’alimenter des inimitiés parfois farouches. D’autant que la bête noire n’est pas la seule préoccupation des agriculteurs : la multiplication des cervidés et leur colonisation du territoire devient une réelle source d’inquiétude. A la Fédération nationale de la chasse (FNC), on se défend d’être à la manœuvre, arguant que c’est l’État qui décide des plans de chasse. Position quelque peu contredite par leur propre Petit livre vert 2017 qui stipule que, « si l’administration reste signataire des décisions, ce sont les fédérations de chasseurs qui proposent les quotas d’animaux par territoire ». Toujours est-il que le nombre de cerfs et de biches a été multiplié par dix en quarante ans (entre 130 000 et 190 000 têtes estimées en 2010). Idem pour le chevreuil (de l’ordre de 1 500 000 têtes). Les chasseurs vont-ils, là encore, se laisser déborder pour satisfaire leur passion ? Et si l’opinion publique se soucie peu du sort des sangliers, en sera-t-il de même pour le cerf, ce bel et noble animal ?

30 millions d’euros de pertes chaque année

Les craintes du monde agricole sont d’autant plus justifiées que les dégâts du gros gibier sur les cultures se chiffrent à 30 M€ par an en moyenne sur les dix dernières campagnes, avec 15 000 à 20 000 ha endommagés chaque année. Les pertes sont indemnisées selon un barème national, indexé sur les cours des céréales pour chaque campagne. Les barèmes étaient donc plutôt bas pour la saison 2015-2016, et 25,5 M€ ont été payés par les Fédérations départementales des chasseurs (FDC). 85 % des dégâts sont l’œuvre des sangliers, 13 % des cerfs et 2 % des chevreuils. Entre celui qui pratique son loisir et l’autre son métier, les relations ont vite fait de dégénérer.

Dans la Meuse, où les forêts occupent un tiers du département, les agriculteurs ont les nerfs à vif. « L’explosion de la population des sangliers et des dégâts sur les cultures rend la situation électrique, déplore Hélène Giangrandi, animatrice FDSEA 55. Pour les agriculteurs qui vivent une troisième année difficile, cela devient insupportable. Et nous craignons le pire pour les semis et la récolte 2018. » Les indemnisations dépassent le million d’euros, en deuxième place du podium, après la Côte-d’Or.

« Sur la saison de chasse 2016-2017, 14 400 sangliers ont été abattus. Il faudrait en prélever 20 000 pour stabiliser la population », estime Patrice Pérard, éleveur laitier et responsable du dossier chasse à la FDSEA 55. Une dizaine de massifs, parmi les 54 du département, cristallisent les plus grosses crispations. Pour autant, en trois ans, la situation s’était légèrement améliorée, avec une diminution des points « noirs » de six à trois. « Mais douze points « rouges » subsistent, qui pourraient facilement basculer en noir », s’inquiète l’élu. Il constate que plusieurs plans de chasse ne sont qu’à 70 % de réalisations, contre 80 % en moyenne sur le département. Dans ces cantons où les relations entre agriculteurs et chasseurs s’enveniment, c’est la préfète qui est intervenue mi-septembre, à l’issue d’une commission départementale de la chasse, en fixant des objectifs de réalisations pour 45 plans de chasse. Avec mission d’atteindre les objectifs, mais sans réel moyen de pression.

Dégâts circonscrits à 3 300 communes

L’appréciation des dégâts au niveau départemental laisserait penser que les problèmes seraient alarmants dans le quart Nord-Est, importants dans le Bassin parisien et modérés dans l’Ouest et le Sud. Cette analyse serait tronquée et cache la très forte hétérogénéité des dégâts, explique Benoît Guibert, directeur du service dégât de gibier à la FNC : « 75 % de la facture des dégâts se concentre sur 10 % des communes françaises, soit environ 3 300 communes. Parmi elles, 900 totalisent un tiers des dégâts et 367 un autre tiers. » A noter que ces chiffres excluent l’Alsace et la Moselle, soumises à un régime de « droit local » particulier.

Ce qui signifie, a contrario, que 90 % des communes n’ont pas de problèmes majeurs. Mais que chaque département a son lot de 10 à 25 communes sinistrées. Selon l’expert, ces « points noirs » - où les dégâts de gibier sont largement supérieurs au reste du département - auraient plutôt tendance à se résorber. D’après un indice mesurant l’intensité et la récurrence des dégâts, le nombre de communes « critiques » serait ainsi passé de 1 000 en 2010 à 750 en 2016. Toutefois, poursuit l’expert, « s’il n’y a jamais eu aussi peu de points noirs, il n’y a, en revanche, jamais eu autant de communes dites « à risques », avec des dégâts très importants pour la première fois en 2016 ».

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