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1. Des associations au pinacle médiatiqu 1. Des associations au pinacle médiatique

Les associations abolitionnistes et leurs vidéos tiennent le haut du pavé depuis trois ans.

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L214 est le nom de l’article du code rural qui, depuis 1976, reconnaît aux animaux leur caractère d’être sensible (1). C’est aussi la lettre et les chiffres qui mettent en rage bien des éleveurs car il s’agit du nom de l’association de défense animale abolitionniste la plus en vue qui conteste « l’exploitation animale ». Autant dire l’existence de l’élevage.

Ses vidéos sur la maltraitance dans sept abattoirs depuis 2014 (14 depuis 2007) et dans plusieurs élevages font, à intervalles réguliers, la une de tous les médias. Elles choquent les internautes (c’est le but) mais aussi scandalisent les éleveurs et les abatteurs, qui ne se reconnaissent pas dans ces images à peine supportables de cochons asphyxiés ou de moutons balancés contre les murs. Pourtant, cela marche sur le grand public : le mouvement compte 25 000 adhérents. Ils étaient 4 374 en 2014.

Abolir l’élevage

Le nombre de leurs salariés a été multiplié par deux ces six derniers mois, passant de 20 à 40. Les compétences recrutées tournent autour des métiers de la communication (vidéo, graphisme, plaidoyer). Compétences redoutables sur les réseaux sociaux si l’on consulte leurs huit sites : Stop gavage ; lait-vache info, véganpratique…. Des appels aux dons figurent sur tous leurs communiqués : leur budget est passé de 400 000 euros en 2014 à plus de 2 millions en 2016.

« Si un événement n’est pas filmé, c’est qu’il n’a pas existé » : L214 a repris avec succès à son compte l’adage du fondateur de Sea Shepherd, association de défense des animaux marins : ils ne veulent pas avoir leur quart d’heure de célébrité mais visent un changement de civilisation, comme nous l’a expliqué avec autant de calme que de conviction Brigitte Gothière, sa co-fondatrice. « Notre but ultime est de changer les relations des humains avec les animaux. Nous savons que nous n’obtiendrons pas tout de suite l’abolition de toutes les formes d’élevage. Donc nous réclamons des mesures qui correspondent à ce que pense l’opinion publique : l’abolition des pratiques qui relèvent de la cruauté, le transport des animaux et les abattoirs. Là, les décisions peuvent être rapides. ». Les abattoirs, lieux de mort des animaux, boîte noire pour le grand public, sont particulièrement visés par ses vidéos car les images sont redoutables d’impact.

Le vacarme de cette association abolitionniste aurait tendance à faire oublier les autres organisations, moins jusqu’au boutistes, qui œuvrent, non pour l’éradication de l’élevage, mais pour le bien-être animal de la ferme à l’abattoir. Leur dialogue avec les éleveurs n’est pas toujours simple parce qu’elles réclament des changements parfois radicaux de pratiques d’élevage (abolition du gavage, des cages, des cases, fin de la castration)… Mais, contrairement aux associations abolitionnistes, les agriculteurs ne refusent pas le dialogue a priori.

Au secours des animaux délaissés

Trois d’entre elles, reconnues d’utilité publique, interviennent dans les exploitations quand les mairies ou les services vétérinaires leur signalent des animaux en déshérence. C’est le cas de la fondation Brigitte Bardot. Tout comme Welfarm, créée en 1994 sous le nom de « Protection mondiale des animaux de ferme » pour alerter sur les conséquences de l‘élevage industriel sur le bien-être animal.

Enfin, l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs) est la troisième association active dans ce domaine. C’est aussi la première créée en 1961. Fréderic Freund, son directeur, explique : « Nous agissons quand les animaux souffrent dans les abattoirs, les transports, les élevages. Quand on nous signale des animaux en souffrance chez les éleveurs, nous intervenons accompagnés des forces de l’ordre et nous portons plainte auprès du parquet. C’est la procédure. Nous avons aussi un rôle social, parfois mal compris par la profession agricole auprès des éleveurs en difficulté. Nous menons une trentaine d’actions par an en moyenne. Les deux autres associations en secourent autant. Souvent, l’éleveur est soulagé que l’on fasse cesser la souffrance de ses bêtes. Nous mettons les animaux en pension. Parfois nous réalisons la vente. »

Experts des abattoirs

L’OABA, créée en 1961, est à l’origine de l’obligation d’étourdissement des animaux au pistolet en 1964 dans les abattoirs. Sur ses dix salariés actuels, six ont été recrutés pour leurs compétences autour des abattoirs (directeur, techniciens ou vétérinaires). Les dons et legs sont ses principales ressources. Ils oscillent entre 1 et 1,2 million d’euros. « Cela varie avec l’actualité. Peut-être ne sommes-nous pas assez « rentre-dedans » pour certains donateurs. Nous n’allons pas au plus simple en proclamant : fermons les abattoirs. Nous les visitons quand les directeurs nous y autorisent. Nous réalisons des audits à la demande. » Cette tâche essentielle de l’association n’est toutefois pas aisée. Frédéric Freund poursuit : « En 2012, parce qu’on ne nous entendait plus, nous avons participé à la diffusion d’un reportage sur France 2. Depuis, 60 % des abattoirs ne nous sont plus accessibles. »

Là où un reportage « raisonnable » à la télévision a semblé contre-productif, les vidéos de l’association L214 sur internet agissent depuis 2014 comme un électrochoc viral. Frédéric Freund le reconnaît : « Elles ont eu le mérite de faire avancer tout le secteur. Même si maintenant, il faut faire en sorte que les actions se concrétisent avant de remettre de l’huile sur le feu. Certaines fédérations d’abatteurs ont repris contact avec nous. »

Après ces scandales, le ministère de l’Agriculture a mis en place, début 2017, les CLA, comités locaux de concertation et de dialogue sur les abattoirs. « Nous comptons bien y siéger. » L’OABA espère aussi que se créent des cellules opérationnelles d’alerte sur le terrain avec les organisations agricoles pour prévenir les cas d’abandon d’animaux dans les exploitations en difficulté.

Welfarm aussi entretient de bonnes relations avec les interprofessions. Y compris l’Inaporc, malgré sa campagne 2016 « couic » sur la castration des porcelets : « Les professionnels n’étaient pas ravis mais ils n’ont pas fermé le dialogue. Nous lançons des campagnes quand il existe des alternatives, tout en soulignant les avantages économiques », relativise Pauline Di Nicolantonio, de Welfarm. Cette association, tout comme l’OABA, fait partie du groupe bien-être animal du CNOPSAV (Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale ) du ministère de l’Agriculture.

Répondre aux industriels

C’est aussi le cas de la branche française de CIWF (Compassion in World Farming), installée en France en 2011. Son action européenne phare est la demande de suppression de toutes les cages. « La base de notre travail est scientifique, appuyée par des agronomes, des éthologues, des études de vétérinaires, de sociologues, détaille Agathe Gignoux, de CIWF France. Nous évitons l’approche émotionnelle. Nous récompensons ce qui se fait de bien lors de la remise de trophées. Nous travaillons avec les interprofessions. Depuis peu, les demandes d’accompagnement des industries agroalimentaires, des coopératives (Terrena) dans leur démarche du progrès sur le bien-être animal augmentent. Elles écoutent les attentes de la société. Les distributeurs aussi deviennent prescripteurs de cahiers des charges pour leur approvisionnement. Un accord vient d’être signé avec Casino sur l’étiquetage. » Sur la rémunération des efforts demandés aux éleveurs, elle précise que « cela doit se faire lors de la répartition de la valeur ajoutée ». Une perspective qui ne rassure pas franchement les éleveurs !

Désobéissance civile

D’autres associations, moins conciliantes, plus radicales que L214 et fortes en mise en scène, ont fait irruption. Elles surgissent lors d’actions coup de poing et font de leur condamnation, un élément de stratégie. Parmi elles, 269 Life, une association internationale née en Israël en 2012. Cette fois, le numéro n’est pas celui d’un article du code rural mais d’un veau que le fondateur de l’association a arraché à une ferme laitière. Présente dans une cinquantaine de pays, elle a fait en France deux émules rivaux : « 269 Life France », basée à Strasbourg, et « 269 Life libération animale », basée à Lyon. Cette dernière est la plus radicale et prône la désobéissance civile : « Puisque la loi est injuste, il faut désobéir », proclame sa coprésidente, par ailleurs professeur de droit. Elle revendique la confrontation ouverte et violente avec l’industrie agroalimentaire et les abattoirs.

Une autre association, le front de libération animale (ALF), né en Angleterre, mène également des actions commandos à Lyon ou à Bordeaux, taguant la vitrine d’une crèmerie lyonnaise (« lait = meurtre » étant la plus aimable) et celle de plusieurs boucheries. Ces activistes, souvent qualifiés d’écoterroristes, fonctionnent sans leader, agissant par surprise, cagoulés et vêtus de noir.

Création d’un collectif

Les divergences entre associations sont souvent insolubles, l’appel aux dons n’étant pas le moindre des sujets de friction. Mais 26 organisations de protection ont malgré tout réussi à créer, en novembre 2016, le collectif « AnimalPolitique ». Il a soumis 30 propositions, jugées acceptables par la société, aux candidats de la présidentielle et à la députation. Pour l’élevage, il réclame de favoriser l’élevage en plein air, d’interdire les cages, d’arrêter des pratiques douloureuses comme la castration, l’écornage ou le gavage, de limiter la durée de transport d’animaux vivants, d’en interdire l’exportation, d’étourdir systématiquement les animaux dans les abattoirs, faire évoluer les pratiques alimentaires.

Le collectif veut aussi interdire les pratiques « barbares » infligés aux animaux sauvages (la chasse est particulièrement visée). Il souhaite favoriser le retour naturel des grands prédateurs. Lors du lancement du collectif, Christophe Marie, de la fondation Brigitte Bardot, expliquait : « Les associations de défense animale ont réussi à intéresser les médias de grand public à leur vision de la cause animale. Du coup, les politiques, que cela ne passionnait pas toujours, commencent à s’y intéresser. » Est-ce une bonne nouvelle pour les éleveurs et la sérénité des débats ?

(1) Article L214-1 du code rural : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »

 

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