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2. La France sur le chemin de la privati 2. La France sur le chemin de la privatisation du conseil

Avec la baisse des subventions, les solutions alternatives au conseil traditionnel se développent, de la simple délégation de service à la privatisation totale.

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Il faut se rappeler de temps plus lointains pour comprendre la dynamique actuelle. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le conseil a formé l’un des plus importants leviers pour moderniser l’agriculture. Il était financé par l’État et par la profession. À partir de la fin des années quatre-vingt, « une tendance générale de désengagement de l’État est apparue, note Pierre Labarthe, de l’Inra, dans son rapport (1). L’un des organismes à en avoir fait les frais est l’Association nationale de développement agricole (Anda). L’État a préféré une délégation de service pour passer des contrats pluriannuels avec des organismes de conseil. Dans le même temps, le nombre de conseillers bénéficiant de soutien public a diminué. Deux raisons expliquent en grande partie ce désengagement. Il s’agit, d’une part, de réduire les dépenses publiques. Mais les politiques au pouvoir sont aussi sensibles à un raisonnement économique qui veut que la commercialisation du conseil par des entreprises privées le rende plus efficace, car tiré par la demande. Dans tous les cas, nous assistons à un glissement du conseil vers des acteurs variés et parfois nouveaux, notamment avec le développement des services sur Internet. »

Nouvelles demandes

Preuve de ce changement, les agriculteurs eux-mêmes avouent ne plus se tourner en majorité vers les acteurs historiques appuyés par les politiques publiques. Un sondage réalisé en 2017 par le mensuel AgroDistribution donne comme « partenaires pour optimiser la conduite d’exploitation » la distribution agricole (coops, négoces) en tête à 58 %. Suivent les chambres d’agriculture (23 %) et les agriculteurs eux-mêmes (21 %). Dans la suite du classement, comptables, presse, vétérinaires ou encore Ceta progressent par rapport à un sondage équivalent effectué en 2014. Le même observatoire d’AgroDistribution révèle aussi que 53 % des agriculteurs préfèrent s’adresser à plusieurs organismes spécialisés. La pluralité des sources d’information est donc désormais de mise. Cette situation s’observe en tous points sur le conseil en agroéquipements, où concessionnaires et petits constructeurs locaux remplacent les coopératives en tête des sources de conseil. Alors que les chambres d’agriculture souffrent d’une hémorragie de conseillers machinisme et peinent à retrouver de leur superbe depuis l’arrivée des prestations payantes, d’autres structures prennent le relais. Et dans tous les cas, il faut bien l’avouer, plus grand-chose n’est gratuit. Cuma, Ceta, ingénieur, coopératives, sites internet et même les chambres demandent quasi systématiquement une participation. Seules quelques associations locales parviennent encore à œuvrer sans contrepartie financière de la part des agriculteurs. Pierre Labarthe a ainsi identifié des conséquences négatives au désengagement de l’État, notamment en termes d’accès aux services de conseil pour certains agriculteurs qui n’ont pas l’habitude de fonctionner en groupe ou n’ont pas les ressources pour financer un conseil adapté.

Une politique choisie

Pour les agroéquipements, le désengagement de l’État tient aussi de politique générale. L’Union européenne a accompagné l’introduction de la conditionnalité en 2003 de celle du Système de conseil agricole (SCA). Si chaque membre doit adopter des mesures obligatoires, libre à lui d’intégrer au SCA d’autres thèmes. En France, c’est l’« agroécologie » qui tient le haut du pavé. En 2015, notre ministère de l’Agriculture a en effet choisi d’intégrer, d’une part, la promotion des conversions, y compris au bio, et la diversification des activités. Il a choisi, d’autre part, de soutenir le conseil sur « les actions relatives à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci, et sur les actions relatives à la biodiversité et à la protection des eaux ». Résultat, les organismes habilités – le plus souvent les chambres d’agriculture, les FD Cuma, les coopératives – passent une grande partie de leur temps de conseil sur ces sujets. Cela se traduit, par exemple, par de nombreuses formations en chambres d’agriculture sur le Certiphyto, les MAE, la conversion au bio, etc. Côté Cuma, le réseau machinisme est encore fort mais, là aussi, les thématiques bougent, et les conseillers « glissent » vers l’agroécologie et l’environnement. Les derniers chiffres Vivea illustrent parfaitement l’application de ces choix politiques.

L’écologie prioritaire

Déjà en 2012, Christiane Lambert, alors présidente de Vivea, soulignait l’importance prise par les formations en lien avec l’environnement. « Le nombre de formations sur cette thématique a été multiplié par trois entre 2007 et 2011, et multiplié par 9 si on inclut Certiphyto, pour atteindre 35,9 % des formations financées par Vivea. » Résultat de ce tournant politique : le conseil en machinisme est délaissé par le SCA. Les derniers encouragements politiques pour le conseil en machinisme ne concernent que les sujets en lien avec les thématiques d’agroécologie. Il s’agit ainsi d’accompagner l’exploitant sur les réglages d’un pulvérisateur, sur des semoirs de semis direct, ou encore sur les outils utiles aux itinéraires sans labour ou compatibles avec la diminution des traitements phytosanitaires. Certes, ces sujets sont aussi méritants que les autres. Mais pour l’immense champ des sujets machinisme restants, qu’il s’agisse des performances des tracteurs, des épandeurs, des moissonneuses, des charrues ou bien des faneuses, il faut se tourner vers les autres acteurs. Pour ceux qui auront la chance d’y avoir accès, la modernisation de l’équipement afin d’améliorer la compétitivité de l’exploitation est un sujet laissé aux initiatives « privées ».

Essor du privé

Les premiers à pouvoir en tirer parti sont les concessionnaires. Si a priori ce sont les plus compétents, ils sont aussi susceptibles d’être les moins objectifs, car liés par la vente de machines agricoles. Les coopératives et négoces apparaissent aussi comme des solutions crédibles. Mais la plupart des coopératives qui développent un conseil en machinisme ont une activité de concessionnaire, à l’image de la CAL ou de Terre Comtoise. Des coopératives développent aussi une activité de consultant en machinisme pour promouvoir certaines de leurs solutions high-tech. C’est le cas d’Arterris, qui a monté un club « agriculture de précision ». Une dizaine d’agriculteurs triés sur le volet sont membres de ce club qui échange régulièrement sur les pratiques et les solutions liées à l’agriculture de précision. Les négoces ne sont pas en reste, à l’image du groupe Carré qui propose un accompagnement technique sur toutes les étapes de la culture, du semis à la récolte avec son service Servicar. Ce dispositif intègre même un atelier pour les réparations ainsi qu’une assistance pour la préparation du contrôle pulvé.

Le désengagement public laisse aussi de l’espace aux groupements organisés pour du conseil. Il s’agit par exemple des Ceta (lire l’encadré p. 40). De nouveaux acteurs, les ingénieurs-conseils, apparaissent dans le paysage. Les organismes historiques comme les chambres d’agriculture font même appel aux compétences de ces derniers pour des journées techniques. Mais les nouvelles tendances du conseil prennent désormais la forme de plateformes numériques, parfois associées aux cahiers de pratiques virtuels. L’un des derniers exemples est la superposition des conseils de fumure azotée, des modulations de doses et de leur enregistrement informatique. Les réseaux historiques y prennent pleinement part. En effet, les chambres d’agriculture comme les coopératives font survoler les parcelles par des drones ou des ULM et restituent des préconisations de modulation. Celles-ci peuvent parfois être adossées à une journée technique sur l’utilisation du guidage et des distributeurs d’engrais.

Montée en puissance des groupes d’agriculteurs

Mais devant l’absence de propositions sur certains sujets, ce sont parfois les agriculteurs eux-mêmes qui s’organisent. Dans le sondage AgroDistribution de 2017, ils déclarent même compter sur leurs collègues à 21 % pour les conseils contre 11 % en 2014. Des groupes se créent au sein de bassins-versants, comme l’association des agriculteurs d’Auradé, dans le Gers, en 1991, agrandie pour devenir désormais le groupement des agriculteurs de la Gascogne toulousaine (lire p. 42), l’association du bassin-versant de l’Elorn, dans le Finistère, ou le groupe AOC sols dans le Sud-Ouest. Ces différents groupes se réunissent parfois pour des journées techniques. Souvent, un expert est invité. Il s’agit là encore d’un conseil « privé », même si un accompagnement financier public partiel intervient.

Car heureusement, les collectivités locales peuvent intervenir sur du conseil, indépendamment des directives de l’État. Ces aides restent toutefois ponctuelles et attachées à des projets et problématiques territoriales. Elles cofinancent pour un temps des projets d’acquisition de référence ou des démonstrateurs. Le programme pluriannuel Techniques très simplifiées d’implantation des cultures en Midi-Pyrénées, achevé en 2012, avait ainsi bénéficié d’un soutien du Casdar mais aussi de la Région. Si le désengagement de l’État est avéré et qu’il est progressivement remplacé par les initiatives privées, quelques éléments de soutien public au conseil perdurent localement.

Le dynamisme des Cuma

Le réseau Cuma est souvent le mieux placé pour bénéficier de ces financements. Rompues à l’exercice de la recherche de subventions, les FDCuma ont pris l’habitude d’adapter leurs activités en fonction des fonds disponibles. C’est ainsi que le conseil sur l’épandage de lisier et de fumier s’est fortement développé au début des années 2000, avant d’être remplacé par le semis direct et les TCS.

Les FD Cuma sont aussi les dernières structures parapubliques capables de générer des références sur les moissonneuses-batteuses et les ensileuses, grâce, notamment, à des évènements à grande échelle comme Méca-céréales et les rallyes thématiques. Organisés par plusieurs fédérations départementales, ces évènements permettent de combiner les acquisitions de références réalisées par les conseillers du réseau et les démonstrations pour les agriculteurs, y compris ceux qui ne sont pas membres d’une Cuma.

La fusion de plusieurs fédérations départementales, par exemple en Bretagne ou dans le Sud-Ouest, pérennise les postes de conseillers machinisme au sein de ces nouvelles structures. La FD Cuma Béarn-Landes-Pays basque est même la championne toutes catégories avec quatre conseillers et animateurs qui se consacrent exclusivement au machinisme, au sein de la structure Top machine 640. Créée il y a plus de vingt ans par la FD Cuma des Landes, cette structure propose une offre complète de diagnostics pour les machines, depuis le passage au banc des tracteurs jusqu’au contrôle des chargeurs télescopiques. Une success-story qui montre que le conseil en machinisme dans sa forme traditionnelle a encore de beaux jours devant lui, à condition qu’agriculteurs comme élus se mobilisent pour le défendre.

(1) « Privatisation du conseil et évolution de la qualité des preuves disponibles pour les agriculteurs », Économie rurale, 2013.

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