Une année atypique pour les agriculteurs aux États-Unis
L’année agricole outre Atlantique a été marquée par un climat mettant la capacité d’adaptation des producteurs à rude épreuve. Mais la météo n’est pas la seule menace dans le ciel américain. Concurrence à l’exportation et secousses au Congrès ont également tourmenté les filières cette année.
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Pour évoquer les faits agricoles marquants de l’année 2023, Tim Dufault n’a pas besoin de réfléchir beaucoup : « Le plus gros problème bien sûr, c’est la météo. » Installé avec son frère dans le Minnesota, ce descendant d’immigrés canadiens produit du blé et du soja sur une exploitation de 650 hectares.
La sécheresse après un hiver tardif
L’hiver local plutôt rude a en plus été tardif cette année, bouleversant les travaux. « La neige n’a pas fondu avant le mois de mai, relate-t-il. Nous avons donc démarré les semis près d’un mois plus tard que la normale, dans la précipitation. Et bien sûr, l’été est arrivé et les températures se sont envolées. »
Voisin de presque 1 000 kilomètres dans le sud de l’État du Nebraska, Brandon Hunnicutt n’a pas non plus été épargné par les éléments. Céréalier lui aussi, installé avec son père et son frère, il produit principalement du maïs et du soja sur 970 hectares. Les problèmes météorologiques, il les remonte un peu plus loin dans le temps. « Ce fut une année difficile, décrit-il. Depuis plus de 18 mois, c’est la sécheresse. Nous sommes très en retard en matière de précipitations. »
La chaleur de l’été n’a pas aidé non plus. « Il a fait chaud au Nebraska, il fait chaud partout aux États-Unis, mais c’était la mauvaise chaleur et au mauvais moment », complète-t-il. Le Minnesota s’en est finalement mieux sorti que le Nebraska du côté des rendements, mais il n’en reste pas moins que la météo erratique a rendu la campagne éprouvante pour beaucoup.
Ce défi météo, qui devient récurrent, s’est aussi manifesté de façon spectaculaire sur l’un des principaux cours d’eau des États-Unis, le Mississippi. Affichant des niveaux très bas faute de précipitations suffisantes, il ralentit désormais l’avancement des barges et de toute la bonne marche de la logistique américaine, comme en témoigne Brandon Hunnicutt.
« Nous n’y pensons pas autant dans le Nebraska parce que nous sommes assez loin à l’ouest du Mississippi, reconnaît Brandon Hunnicutt. Mais c’est devenu un défi. Nous essayons d’acheminer le grain vers le Mississippi et d’en ramener des produits aussi. » Malgré l’amélioration avec les pluies d’automne et l’approche de l’hiver, la situation reste mauvaise. L’impact se fait d’ailleurs ressentir sur les coûts logistiques, au point d’avoir dégradé la compétitivité des céréales américaines alors en pleine période de sortie de récolte.
Un « Farm Bill » dans l’incertitude
Le « Farm Bill », l’équivalent de notre Pac européenne, connait lui aussi quelques tourments. La dernière mouture de 2018 a expiré à la fin de septembre. Elle n’a toujours pas fait place à la nouvelle version et a dû être prolongée d’un an. Sur fond de stratégie budgétaire, mais surtout de divisions politiques, de nombreux désaccords entre démocrates et républicains ont empêché le vote.
C’est par exemple le cas sur le niveau de subventions aux assurances récolte. « C’est une question importante, argumente Tim Dufault. Ce que nous disons au Congrès, c’est que si vous permettez d’avoir des tarifs d’assurance qui restent bas, vous aurez moins besoin d’intervenir en cas de calamités. »
Un autre débat virulent concerne le niveau de prix plancher des produits agricoles, celui qui déclenche un soutien gouvernemental. Il serait question de l’augmenter, mais là encore, le Congrès n’a pas su trouver de consensus. « Les prix de référence sont beaucoup trop bas. Même la hausse qui est évoquée est encore beaucoup trop faible. Ça n’est pas cohérent », se lamente Tim Dufault.
« Ça n’empêche pas les agriculteurs américains de dormir »
Autre élément de controverse, la potentielle réforme du « Base Acre ». C’est sur ce principe que sont allouées les subventions et paiements du « Farm Bill » à la surface de production historique et non sur les surfaces réelles. Une manière de donner de la flexibilité aux agriculteurs, et de les pousser à faire leurs assolements selon le contexte économique et non selon les aides. Mais aussi un système qui ne correspond pas forcément à la réalité du terrain avec le temps, au désavantage de certains.
Beaucoup réclament donc une actualisation comme Brandon Hunnicutt. « Il faut mettre à jour le “Base Acre”, car nous ne l’avons pas fait depuis plusieurs années, insiste-t-il. Certains ont des subventions plus faibles, car c’est basé sur du blé qu’ils n’ont peut-être pas semé depuis vingt ans, parce qu’ils font désormais du maïs et du soja. Ils doivent mettre cela à jour, mais tout le monde n’est pas d’accord sur ce point. »
Ce délai dans l’élaboration du Farm Bill qui « n’empêche pas les agriculteurs américains de dormir », d’après Tim Dufault, traduit tout de même la dégradation du climat politique aux États-Unis. « Le seul projet de loi qui était facile à adopter jusqu’ici était le Farm Bill, notamment parce qu’il incluait le programme de soutien alimentaire. Ça rassemblait les citadins et les ruraux, donc c’était voté. Mais au cours des sept ou huit dernières années, notre Congrès est devenu tellement fragmenté qu’il y a des fous des deux côtés qui peuvent tout simplement tout bloquer. »
Même s’il est essentiel qu’un nouveau Farm Bill soit voté, Brandon Hunnicutt relativise l’urgence. « C’est dommage de rester bloqué, concède-t-il. Mais en même temps, le dernier Farm Bill était en fait très bon. Donc il n’y a pas cette volonté de dire que nous devons le changer en profondeur. Est-il parfait ? Non, mais il fonctionne. » Avec les élections présidentielles de la fin de l’année prochaine, beaucoup d’analystes estiment qu’il sera difficile d’avoir un nouveau Farm Bill en 2024.
Faire face à la concurrence à l’exportation
Puissance agricole établie, les États-Unis font pourtant face à une concurrence de plus en plus forte. Le soja en est peut-être le symbole avec un Brésil qui ne cesse de gagner des parts de marché. L’USDA, le ministère américain de l’Agriculture, estime que les exportations pourraient baisser de près de 1 million de tonnes cette année, à cause de cette concurrence.
Le soja n’est pas le seul produit concerné. Brandon Hunnicutt, qui siégeait il y a peu au comité directeur du syndicat du maïs américain, le constate : le Brésil représente aujourd’hui une menace. « C’est un géant et les producteurs peuvent continuer à étendre leurs superficies et à cultiver plusieurs récoltes par an, mais d’un autre côté, cela nous donne l’opportunité de redéfinir notre objectif. »
Pas question donc de baisser les bras. « Plutôt que d’exporter un maïs classique, peut-être pouvons-nous vendre une meilleure qualité, poursuit Brandon Hunnicutt. Plus riche en amidon, produit de façon plus durable par exemple. Il faut aussi que l’on s’intéresse plus à la demande spécifique de nos acheteurs. On doit trouver une solution, car on ne peut pas faire plus d’hectares. »
Tim Dufault s’attarde, de son côté, sur le principal consommateur mondial : la Chine. « Nous sommes sur la corde raide. D’un côté, vous voulez avoir de bonnes relations avec eux pour faire affaire, mais de l’autre, vous ne voulez pas qu’ils prennent Taïwan. C’est ce genre de chose qui peut empêcher les agriculteurs américains de dormir. »
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