Utiliser les coproduits dans la ration de ses bovins, mode d’emploi
Pour passer de la théorie à la pratique, plusieurs points sont à garder en tête pour intégrer des coproduits aux rations des vaches laitières. Les résultats du projet Coprame mené dans le Grand Est ainsi que des retours d’expérience permettent de faire le point.
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1. Adapter l’aménagement
L’aménagement des infrastructures pose plusieurs questions. D’abord, est-il possible de recevoir des livraisons, et combien de silos de stockage sont disponibles ? Chez Kevin Caillet, les coproduits secs sont stockés sous un hangar qui n’est pas accessible aux camions de livraisons. Le transfert se fait donc avec un chargeur télescopique, un godet après l’autre. « Des travaux sont à faire pour simplifier le déchargement. C’est une situation temporaire, pour le moment je me débrouille ainsi », confie l’éleveur Haut-marnais.
Pour Jérôme Larcelet, consultant nutrition chez Seeenorest, un ensemble de pratiques permettent de garantir la qualité de conservation des coproduits. Côté structurel, un silo bétonné et fermé par 3 murs, entre 80 et 120 cm de haut et 4 mètres de large est recommandé. « Pour une bonne conservation, il est conseillé de bâcher dans les 12 heures qui suivent la livraison, et de laisser le silo se stabiliser au moins 15 jours avant de l’entamer », a-t-il détaillé lors de la restitution du projet Coprame porté par l’Institut de l’élevage le 14 novembre 2024 à Saessolsheim (Bas-Rhin). La vitesse d’avancement quotidienne du silo doit être supérieure à 15 cm en hiver et 25 cm en été.
La conservation peut s’avérer délicate selon le produit. Dans le Bas-Rhin, Laurent Winckel, éleveur laitier, souligne la difficulté de conserver des drêches de brasserie sur l’exploitation. « C’est très acide, ça ronge les parois du silo en béton, prévient-il. Le liquide qui s’écoule des drêches s’est même infiltré dans les parois de ma benne et l’a fait gondoler. J’ai dû faire un trou d’évacuation, alors que normalement les liquides n’accèdent pas à ce compartiment de la benne. »
2. Distribuer seul ou en mélange
Si l’aménagement de l’exploitation permet un bon stockage des coproduits, une autre question de logistique se pose : faut-il séparer les « ingrédients » de la ration dans plusieurs silos, ou tout stocker mélangé dans un seul ? Pour Jérôme Larcelet, préparer des silos pour plusieurs mois d’alimentation « permet d’avoir moins de variabilité dans la qualité de la ration. Un changement toutes les trois semaines implique beaucoup plus de transitions alimentaires. »
Stéphane Lartisant, ingénieur-conseil en élevage laitier au BTPL, confirme l’intérêt du mélange complet. « Cela permet de préparer un ingrédient uniforme pour les animaux. Cela a cependant une incidence économique de tout acheter à l’année, car il y a besoin d’un gros apport de trésorerie », souligne-t-il. Pour ne pas payer de transport supplémentaire, mieux vaut faire son mélange directement sur la ferme, en ajoutant un chantier chronophage.
3. Estimer le temps de travail
Pour Alexandre Laflotte, directeur de la ferme expérimentale de l’Ensaia (1), un chantier annuel semble trop contraignant, mais réaliser son mélange tous les 2 à 4 mois serait idéal. « D’autant que le silo unique présente essentiellement un intérêt en période estivale, afin de n’avoir qu’un seul front d’attaque pendant les fortes chaleurs ».
Lors d’un essai avec 46 vaches laitières (23 dans chaque lot) pendant 3 mois, Alexandre Laflotte a enregistré un temps de travail global réduit de 13 minutes par jour lorsque les coproduits sont intégrés dans un silo unique. Pour la réception et le mélange des ingrédients, « c’est un gros chantier qui prend 20 heures pour 3 mois d’alimentation, et nécessite jusque 4 personnes. Mais une fois que c’est fait, le temps d’astreinte quotidien moyen de distribution et hebdomadaire de débâchage des silos est réduit. On gagne ainsi 41 heures d’astreinte en 3 mois, soit 30 minutes par jour en moyenne », assure Alexandre Laflotte.
4. Analyser la ration
Lors d’un achat de mélange de coproduits à un fournisseur, la règlementation autorise une marge d’erreur de 3 % concernant la matière sèche et la matière azotée totale. Mais lorsque les coproduits sont livrés individuellement, ou que les mélanges sont réalisés à la ferme, les taux ne sont pas garantis, et peuvent être différents des tables de références de valeurs nutritionnelles.
Matière sèche (en %) | UFL (en g/kg) | MAT (en % de MS) | Cellulose brute (en % de la MS) | Digestibilité de la MO (en %) | |
Drêches de brasserie déshydratées | 90,9 | 0,82 | 26,3 | 16,3 | 62,0 |
Drêches de brasserie fraîches | 24,9 | 0,83 | 25,9 | 16,4 | 61,9 |
Pulpe de betteraves surpressée | 24,3 | 1,03 | 8,7 | 20,8 | 82,4 |
Pulpe de betteraves déshydratée | 88,9 | 1,04 | 8,9 | 19,3 | 83,0 |
Corn gluten feed | 87,8 | 1,11 | 21,6 | 9,0 | 81,6 |
Coques de soja | 88,9 | 1,06 | 12,8 | 39,1 | 79,3 |
Purée, pelures de pommes de terre | 17,0 | 0,96 | 12,8 | 4,7 | 80,4 |
Légende : MAT : matière azotée totale, MS : matière sèche, MO : matière organique. Sources : tables alimentaires Inrae, feedipedia, association française de zootechnique et Institut de l’élevage
Un des volets du projet Coprame visait à analyser 103 silos en stockage humide. Il a révélé des écarts entre les mesures réalisées et les tables de références. « Les taux de matière sèche des pulpes de betteraves, du corn gluten feed et des drêches de brasserie dans les analyses sont supérieurs à ceux des tables Inrae. C’est plus sec que ce qu’on pouvait prévoir », observe Jérôme Larcelet. À l’inverse, la teneur en matière azotée totale est en moyenne inférieure : jusqu’à 4 points de moins pour les drêches de brasserie. D’où l’intérêt d’analyser les coproduits.
« Les éleveurs n’en ont peut-être pas l’habitude, mais lorsque les coproduits représentent une grosse partie de la ration, l’analyse est nécessaire. » Au niveau de la conservation dans les silos, les analyses n’ont pas révélé de problèmes particuliers. L’acidification est bonne tout comme les profils fermentaires, avec très peu de présence d’azote ammoniacal. « Néanmoins il faut rester vigilant par rapport au développement des moisissures qui peuvent apparaître si les avancements des fronts d’attaques ne sont pas suffisants. »
Concernant les spores butyriques, l’étude révèle une quantité importante dans 31 % des silos de coproduits étudiés. Jérôme Larcelet nuance : « 8 % concernent des silos de mélanges complets, donc les spores peuvent provenir des fourrages incorporés comme l’ensilage d’herbe. Pour les autres silos, la présence de ces spores peut s’expliquer par d’autres facteurs, notamment le transport ou la confection du silo. »
(1) Université de Lorraine, La Bouzule à Laneuvelotte (Meurthe-et-Moselle)
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