Phytos/Riverains « Être force de proposition pour fluidifier les relations »
« Faisant suite à des accrocs ou pour les anticiper, montrer qu’on a pris conscience de la problématique des phytos aide au dialogue avec les riverains », estime Paul François, président de l’association Phyto-Victimes et médiateur au sein de groupes d’agriculteurs et de riverains.
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Paul François, céréalier en Charentes et président de l’association Phyto-Victimes, a été sollicité par le sous-préfet de la Corrèze en mars 2015 pour animer une médiation entre riverains et pomiculteurs dans le Limousin. Il raconte.
Comment s’est passée la première rencontre ?
Je m’en souviens très bien. Dire que c’était tendu est un euphémisme, il y avait des noms d’oiseaux qui volaient et personne ne s’écoutait. Certains des pomiculteurs me rejetaient en considérant que j’étais là pour donner des leçons, voire promouvoir une l’agriculture biologique. Ce que j’ai décidé de mettre en œuvre sur ma ferme ne concerne que moi et je n’étais pas là pour en porter le témoignage.
En tant qu’agriculteur, et victimes des pesticides de surcroît, je connais la réalité de leur usage, en conventionnel comme en bio. En tant que médiateur, je n’étais pas là pour donner quelque leçon que ce soit mais pour réfléchir avec eux à la manière dont il leur était envisageable de continuer à travailler sans que les riverains s’en prennent à eux.
Qu’avez-vous dit aux agriculteurs ?
Je les ai avertis que s’ils ne montraient pas qu’ils ont pris conscience de la problématique des phytos pour les riverains et s’ils ne proposaient pas de solution, alors ils s’exposaient au risque que d’autres prennent des décisions à leur place. Et dans ce cas, à mon sens, il ne sera pas possible de se plaindre de l’inapplicabilité des mesures prises.
D’autre part, qu’il faut utiliser l’argument « des habitations ont été construites n’importe où » avec parcimonie : la présence des riverains dans nos campagnes est bien évidemment un atout, pour la vitalité des territoires comme pour la fourniture de main-d’œuvre. Et puis la vente de terres agricoles comme terrains constructibles profite ou a bien profité à certains !
Et aux riverains ?
Je ne peux pas les laisser dire que les agriculteurs sont les seuls responsables des effets négatifs qu’engendre l’utilisation des pesticides. Il y a un contexte qui fait qu’on en est arrivés là : la volonté d’augmenter la productivité au niveau national au sortir de la Seconde Guerre mondiale, celle de permettre aux consommateurs d’accéder à des produits alimentaires pas chers, d’avoir des pommes sans tache.
Comment les points de vue des pomiculteurs ont-ils évolué ?
Ils ont d’abord reconnu qu’ils avaient des pratiques dénonçables. Il ne s’agit bien sûr pas de la majorité des pomiculteurs, seulement d’une minorité. Mais elle fait du tort à toute la profession. Puis, au fil des cinq réunions que j’ai animées sur un an, les producteurs ont fait des propositions. Ils ont été au-delà de ce que j’aurais pu imaginer et de ce que les riverains espéraient, notamment en proposant de ne pas traiter leurs vergers les jours fériés. Je leur tire mon chapeau pour cette proposition, dont ils étaient très loin en début de médiation.
Ils ont aussi décidé de fournir la liste des produits phyto qu’ils utilisent aux riverains (via l’association Alerte des médecins sur les pesticides, NDLR), ce qui n’a pas été une décision facile non plus… Pourtant tous les produits utilisés étant autorisés, il n’y a pas de honte à avoir.
S’en est suivie, deux années plus tard, la signature de la charte, en mars 2017. Un succès ?
Oui ! C’est une grande avancée. D’autant que certains producteurs disent qu’ils ont pris l’habitude de ne plus traiter les dimanches. Et ils apprécient de pouvoir croiser les riverains de manière plus apaisée qu’à l’époque où un reportage télévisé [Envoyé spécial « Peut-on encore manger des pommes ? », diffusé en mars 2015, NDLR] avait exacerbé les tensions – pour rester dans l’euphémisme. On peut quand même souhaiter à d’autres de ne pas en arriver à ce niveau de trouble. Cette charte, c’est aussi, et sans surprise, un succès commercial puisque certains des acheteurs de pommes du Limousin envisageraient de communiquer sur la charte auprès des consommateurs.
Bien que la démarche de médiation ait abouti à ces éléments très positifs, il y a cependant un bémol pour moi. Aucun syndicat agricole ne l’a signée, et même si elle a été soutenue par le préfet tout au long du travail de médiation, il ne l’a pas signée car il n’a pas eu le feu vert du ministre en fonction à ce moment-là, Stéphane Le Foll. C’est pour moi inadmissible !
Et c’est aussi là toute l’ambiguïté de la politique de l’ancien ministre, entre promotion du plan Ecophyto visant à réduire l’usage et les impacts des pesticides et frilosité quand il s’est agi de soutenir des initiatives allant un peu plus loin que la réglementation en vigueur. Nous saurons bientôt comment son successeur, Stéphane Travert, prendra ces sujets en compte, notamment, on l’espère à l’occasion des États-généraux de l’alimentation.
Propos recueillis par Ana Cassigneul
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