Transition écologique « Un débat sociétal doit avoir lieu pour répartir l’effort »
À la tête de l’Anses pendant six ans, Marc Mortureux est aujourd’hui directeur général de la « Plateforme automobile » qui rassemble la filière automobile. De l’agribashing au carbashing, il montre les analogies entre les deux secteurs et donne des pistes pour réussir la transition écologique.
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Vous êtes, depuis dix-huit mois, à la direction générale de la Plateforme automobile (PFA), après avoir passé six années à la tête de l’agence de sécurité sanitaire, l’Anses. Vous avez vécu et vivez dans ces deux secteurs la transition écologique. Peut-on faire un comparatif ?
Je mesure le désarroi aujourd’hui que vivent les secteurs agricole et alimentaire. Et je dois dire que, dans le secteur automobile, confronté à cette tendance au car-bashing, on retrouve le même sentiment. Le parallèle entre ces deux mondes est intéressant. Qu’a-t-on bien pu faire pour provoquer cette incroyable méfiance ? C’est un vrai sujet de société : je l’ai connu dans le domaine alimentaire, je le retrouve aujourd’hui dans l’automobile.
Quels sont vos objectifs de transition dans l’automobile ?
La réglementation européenne nous impose une nouvelle norme sur les émissions de dioxyde de carbone à partir de l’année prochaine. Mais, sous l’effet notamment du dieselgate, avec l’affaire Volkswagen, le consommateur, parce qu’il n’y avait pas d’autres choix, a préféré l’essence au diesel. Or un véhicule essence émet 15 % de CO2 en plus qu’un véhicule diesel. Ainsi, depuis quatre ans, au lieu d’observer une baisse progressive des émissions de CO2, elles augmentent légèrement.
La France entend afficher des objectifs toujours plus ambitieux, sans prendre le temps d’en mesurer suffisamment l’impact.
Comment allez-vous vous y prendre ?
C’est là que l’on rejoint le débat sur l’agriculture. Tout d’abord, cette transition écologique, de toute façon, il faut la faire, il n’y a pas de débat. Mais nous faisons face à deux problématiques : le rythme et les mesures d’accompagnement. Pour le rythme, force est de constater que, dans le prolongement de l’accord de Paris, la France entend afficher des objectifs toujours plus ambitieux, sans prendre le temps d’en mesurer suffisamment l’impact. Et le gouvernement n’est pas toujours aussi ambitieux sur l’accompagnement : nous sommes dans un contexte, comme pour l’agriculture, où la transition nécessite un système cohérent impliquant le consommateur. Or, les véhicules électriques, la seule solution pour zéro émission aujourd’hui, sont plus chers. La transition écologique a un coût et nous ne réussirons pas sans incitations financières fortes.
Comment être certain que les consommateurs vous vont suivre ?
On fixe de grandes ambitions et on oublie trop souvent en effet celui qui est pourtant au centre du jeu : le client ou le consommateur. Nous devons vendre deux fois plus de véhicules électriques l’année prochaine et les industriels ont investi des dizaines et des dizaines de milliards pour mettre sur le marché une grande diversité de modèles. Le client va-t-il suivre ? Soyons clairs : la filière automobile joue tout simplement sa survie. Elle est confrontée à ses plus grands défis depuis sa création il y a un peu plus d’un siècle, défi technologique et environnemental, défi numérique et défi sociétal. La bonne nouvelle, et c’est valable pour le secteur alimentaire, c’est que les besoins vont continuer à grandir. Simplement, c’est une transformation très forte et très rapide. Un énorme débat sociétal doit avoir lieu pour savoir comment répartir l’effort entre les différents acteurs pour financer cette transition.
En agriculture, on voit bien que ce débat sociétal peine à se mettre en place, en particulier sur les questions des pesticides et de zones non traitées (ZNT). Une réglementation nationale est-elle la solution ?
La réglementation ne peut pas être la seule solution : dès qu’un problème de confiance survient, le réflexe est de rajouter de nouvelles couches de réglementation, alors que la priorité devrait être de s’assurer qu’on applique déjà bien la réglementation existante qui est déjà très complexe.
Sur le plan alimentaire, il existe en France, un dispositif de sécurité sanitaire performant. Même si le risque zéro n’existe pas, le cadre est solide. Pourtant, j’ai vu monter en puissance les préoccupations autour des risques dits chroniques, invisibles, liés à des expositions à de très faibles doses, mais aussi autour des effets cocktails. C’est positif dans la mesure où cela résulte d’une évolution des connaissances scientifiques, et permet de mieux prendre en compte les risques sur le long terme.
Mais cela génère dans le même temps des peurs sur lesquelles nous sommes de plus en plus démunis : il y a une attente de plus en plus forte à apporter la preuve que jamais, aucune des innovations développées à l’heure actuelle, ne pourra conduire un jour à présenter un risque. C’est une attente qui apparaît légitime en soi, mais elle est en partie inatteignable.
Nous avons encore beaucoup de mal à dialoguer dans notre pays.
Il n’y a pas d’autres choix aujourd’hui que de miser sur la transparence et le dialogue. Il est aussi très important de bien qualifier les incertitudes, à savoir de dire ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas.
Et sur les pesticides précisément, vous comprenez cette frénésie ?
Je suis marqué par le fait que nous avons encore beaucoup de mal à dialoguer dans notre pays. Comme s’il fallait attendre d’être d’accord, pour commencer à s’écouter… Mais c’est tout le contraire ! Comment, sinon, travailler ensemble de manière constructive ?
On demande forcément à une agence de sécurité sanitaire la vérité scientifique sur un sujet comme celui-ci. Mais, je ne crois pas que c’est en définissant, au niveau national, une distance uniforme pour les zones non traitées, que cela va fonctionner.
Ces sujets nécessitent de s’appuyer sur un dialogue de proximité. Il faut de la transparence, et peut-être aussi, pour le monde agricole, une volonté d’avancer ensemble, de se structurer. Je pense que, parfois, un manque de structuration pénalise les agriculteurs. Dans le même temps, je me méfie toujours de la solution unique. Dans le monde automobile, le véhicule électrique à batterie est pour certains, la solution unique. Pour d’autres, c’est l’hydrogène. La vérité est que nous n’avons pas de solution unique pour tous les usages. Sur ce point, il apparaît d’ailleurs fondamental de nous laisser la liberté de toujours faire le pari de l’innovation.
Propos recueillis par Rosanne AriesPour accéder à l'ensembles nos offres :