Numérique « La donnée agricole n’est pas le nouvel or noir »
« Se voir tel des Harpagon sur des cassettes de données est une image à proscrire. » Pour Valérie Peugeot, chercheuse à Orange Labs, le problème vient de cette idéologie qui consiste à penser la donnée comme une marchandise. « On parle quand même du nouvel or noir ! Le pétrole du 21e siècle ? Cette image nous nuit. Et en plus elle est fausse. »
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À l’occasion des rendez-vous de l’agriculture connectée, organisés par l’École supérieure d’agriculture (ESA) d’Angers, la spécialiste des enjeux du numérique et de la donnée, membre par ailleurs de la Cnil, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, a souhaité remettre les pendules à l’heure le 21 novembre 2018.
Où va-t-elle ?
« Si je vends mon tracteur, je m’en prive, poursuit-elle. Ce qui n’est pas le cas pour la donnée qui peut continuer à être utilisée. C’est une vision ancienne, du XXe siècle, que de penser que la donnée soit patrimoniale. La métaphore de l’or noir nous pousse vers une logique d’accumulation, plutôt que de parler partage et d’innovation de services. Pourtant, la donnée est bien une valeur d’usage. Il faut se demander à quoi et à qui elle va servir ? Sa valeur vient des services qu’on va pouvoir être capable de faire. »
D’où vient-elle ?
© R. Aries/GFA
La métaphore de l’or noir serait aussi une source de confusion pour le système juridique, encore à l’heure actuelle, selon Valérie Peugeot. Il existe plusieurs sortes de données, explique-t-elle : celles reliées à des personnes identifiables, d’autres qui ont été agrégées et qui ne sont plus en lien direct avec des personnes et d’autres, enfin, qui n’ont rien à voir du tout avec des personnes. « Or, on les traite toutes comme un seul ensemble, il est important de les distinguer pour apporter une réponse adaptée, en matière de sécurisation des données, de protection de la vie privée ou encore d’enjeux éthiques. »
La force des nouveaux acteurs
Interrogée sur l’opportunité d’une gouvernance, la chercheuse a fait la liste des nouveaux acteurs que généraient ses données. S’appuyant sur la ville et des entités comme Waze, Uber ou encore Airbnb, « ils viennent s’immiscer dans ces mondes sociaux, et les bousculent ». Ils sont collecteurs de données, data broker (des courtiers de données, à savoir des intermédiaires qui les rassemblent et les revendent).
« Pour certains, cette donnée à une externalité positive. En clair, ça n’est pas le cœur de leur modèle d’affaires, mais au passage, ils en génèrent. La plupart ne s’en privent pas. » Et, au final, résume Valérie Peugeot, « on obtient une économie sous dépendance ».
« Google Maps, par exemple, était gratuit au départ. Nombreux ont construit leur modèle à partir de cet outil, des acteurs de l’immobilier par exemple, puis Google a progressivement fermé ce service en le rendant payant, ils en dépendent désormais. » D’autres services ont été préemptés par le service public, « et des services sont empêchés, parce que des acteurs privés veulent garder toutes les données pour eux, comme ce fut le cas avec Vélib ».
Des alternatives pour le monde agricole
« Ça peut nous inspirer pour le monde agricole, développe Valérie Peugeot. Je constate qu’il existe de nouveaux intermédiaires : beaucoup d’entreprises captent et valorisent les données agricoles, sans que le monde agricole ait voix au chapitre. Donner son consentement par exemple suffit-il ? Pourquoi pas ? Mais en tout cas, cela mérite débat. »
Et « l’on peut aussi imaginer, indique-elle rappelant l’urgence d’agir, qu’un acteur public, par souci de transparence, force la main des collecteurs de données agricoles à les rendre publiques, considérant que la société a besoin de les voir. »
L’autre approche serait de considérer la donnée comme « un bien commun de club », à l’instar d’un secteur qui s’auto-organiserait. On peut imaginer « la construction de coopératives de données, elles s’appuieraient sur des négociations collectives au sein du monde agricole, et généreraient des données plus ou moins ouvertes, ainsi que d’autres dites de club, fermées au secteur ».
Rosanne AriesPour accéder à l'ensembles nos offres :