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Gestion Pourquoi les charges de mécanisation dérapent-elles ?

Les charges de mécanisation excessives inquiètent le ministère de l’Agriculture, qui a diligenté une étude pour en déterminer les causes. Entre politiques publiques qui poussent à l’achat, constructeurs prompts à proposer des financements rapides qui incitent à la défiscalisation, la disparition des conseillers machinisme et de leur appui indépendant se paie cash.

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« La compétitivité des exploitations françaises est handicapée par un suréquipement conduisant à des charges de mécanisation excessives. » C’est dit. Et c’est surtout écrit dans la lettre de mission envoyée le 30 juin 2020 par la directrice de cabinet du ministre de l’Agriculture au centre d’études du ministère, le CGAAER. Il incombe à ce dernier d’expliquer pourquoi ces charges dérapent et, surtout, de trouver des solutions pour « maîtriser, voire réduire les charges d’équipements ».

 

L’étude, publiée en septembre, commence par un état des lieux (voir les infographies ci-dessous). En résumé, en céréales, bovins lait et viande, la mécanisation pèse lourd – de 30 à 50 % du coût de production –, avec de grands écarts selon les exploitations, qui vont du simple au double. Et depuis vingt ans, ces charges grimpent.

 

Les charges de mécanisation (en €/ha) représentent 30 à 50 % du coût de production, avec de grands écarts entre exploitations. Elles comprennent les coûts directs (amortissement, entretien, carburants, lubrifiant, frais financiers (Cuma, entreprise) et la main-d’œuvre directe (entretien du matériel, conduite). © GFA

En céréales, pour la période 2002-2015, les investissements – et donc les amortissements – augmentent, en lien avec la progression des revenus. Créer des charges permet alors de baisser le revenu imposable, donc la pression fiscale et sociale, pointe l’étude. Jusqu’à la mauvaise récolte de 2016, qui inverse la tendance. Enfin, les auteurs constatent qu’en grandes cultures comme en lait, pour le semis et la récolte, les travaux par tiers, Cuma ou ETA, se développent.

 

Mais, au-delà du constat – qui montre des marges de progrès –, c’est surtout la conclusion du rapport qui dérange : « L’investissement fait le plus souvent l’objet d’une étude financière en réponse à une demande de la banque, mais il est rarement construit autour d’une méthode de projet au sens d’une étude d’opportunité. » En clair, il n’est pas vraiment bien réfléchi.

 

Les charges de mécanisation (en €/ha) représentent 30 à 50 % du coût de production, avec de grands écarts entre exploitations. Elles comprennent les coûts directs (amortissement, entretien, carburants, lubrifiant, frais financiers (Cuma, entreprise) et la main-d’œuvre directe (entretien du matériel, conduite). © GFA

Absence de conseillers

Le premier problème pointé par le rapport est l’absence de conseillers en mesure d’épauler les agriculteurs dans leur prise de décision, car « les organisations encadrant le développement agricole se sont dessaisies progressivement des compétences consacrées au machinisme ».

 

La disparition du BCMA (Bureau commun du machinisme agricole) s’est traduite assez rapidement par celle des conseillers machinisme de terrain. « La compétence machinisme va être diluée dans l’agroécologie au sein de Trame. Les agriculteurs ne seront plus défendus face aux pouvoirs publics et aux constructeurs », alertait Philippe Van Kempen, alors directeur du BCMA, dès 2016.

 

Avec la disparition de cette structure et de ses conseillers, les références sur les prix des matériels et les aides à la décision ont fondu comme neige au soleil. Le rapport du CGAAER note que les agriculteurs sont peu demandeurs de conseils sur leur parc d’équipement, sans préciser toutefois que l’intervention d’un spécialiste de la chambre d’agriculture, lorsqu’elle est proposée, est désormais payante, ce qui freine les exploitants habitués à la gratuité.

 

Les charges de mécanisation (en €/ha) représentent 30 à 50 % du coût de production, avec de grands écarts entre exploitations. Elles comprennent les coûts directs (amortissement, entretien, carburants, lubrifiant, frais financiers (Cuma, entreprise) et la main-d’œuvre directe (entretien du matériel, conduite). © GFA

Seules les coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) font exception à la règle. Non seulement elles ont su conserver, voire renforcer leur réseau d’experts en machinisme, mais elles les accompagnent gratuitement dans leurs réflexions et analyses. Elles disposent, de plus, d’une impressionnante base de données. Collectés depuis près de trente ans auprès de 11 000 Cuma, ces chiffres offrent des références sur les coûts d’utilisation et d’entretien de chaque machine, indispensables pour réaliser un achat raisonné.

Financement trop rapide

Constructeurs et centres de gestion se sont engouffrés dans l’espace laissé par les conseillers. En s’alliant à des banques pour proposer un financement intégré ou un crédit-bail, les constructeurs sont en mesure de proposer une solution « clés en main » à tous les agriculteurs qui passent la porte d’une concession. Ce financement simple et rapide accélère la décision d’achat et n’incite pas les exploitants à la définition d’une stratégie « précise et ordonnée ». Parallèlement, les centres de gestion jouent souvent la carte de l’optimisation fiscale et sociale.

 

Il faut arrêter de considérer la mécanisation comme une fin et non un moyen

Fédération des entrepreneurs des territoires

 

Selon le rapport, « acheter du matériel dans un cadre fiscal favorable est une décision qui peut être rapide, mais peut induire des effets financiers en cas de retournement de conjoncture ». Le renouvellement du matériel tous les deux ou trois ans pour réduire les charges fiscales et sociales est un facteur majeur d’augmentation des charges de mécanisation.

Aides « pousse au crime »

Dernière cause de ce dérapage : les politiques publiques. Du suramortissement exceptionnel « Macron » de 140 % entre 2015 et 2017 au plan de relance, en passant par les plans de compétitivité PCAE, elles encouragent les achats opportunistes, au risque de favoriser le surinvestissement.

 

Saupoudrez le tout d’une augmentation des prix des matériels, exceptionnellement élevée depuis un an en raison de la flambée des matières premières, et vous obtenez des charges de mécanisation qui peuvent représenter jusqu’à 50 % du coût de production. La bonne nouvelle, c’est que les agriculteurs ont la majorité des cartes en main pour que ça change. Et surtout, comme le martèle la fédération des entrepreneurs des territoires, « il faut arrêter de considérer la mécanisation comme une fin et non un moyen ».

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