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Coûtsde production Le lait cherche sa voie

La filière est en quête de la bonne équation pour calculer ses coûts de production, et les intégrer dans la formule du prix du lait.

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«Inverser la construction du prix en s’appuyant sur les coûts de production des éleveurs », telle est la promesse du projet de loi issu des États généraux de l’alimentation (EGA), présenté le 31 janvier dernier, pour mieux rémunérer les producteurs. À condition de trouver un consensus sur la définition des coûts de production.

Afin d’y parvenir, le plan de filière rédigé par l’interprofession laitière (Cniel) prévoit de « définir une méthode commune de calcul des coûts de production » pour le premier semestre de 2018. Pourtant, il existe déjà une méthode reconnue (voir infographie), élaborée par l’Institut de l’élevage (Idele) et utilisée par France­AgriMer pour l’observatoire de la formation des prix et des marges. « C’est une approche comptable qui utilise les amortissements et la rémunération du capital, précise Thierry Charroin, du service méthodes et outils pour les références et le conseil à l’Idele. Il existe également une approche de trésorerie, qui utilise le remboursement du capital emprunté à la place des amortissements et de la rémunération du capital. Elle est davantage adaptée pour les analyses au cas par cas, mais rend difficile les comparaisons à grande échelle. »

Vers une valeur unique

Cette méthode sera-t-elle celle retenue par la filière ? Pour Olivier Allain, coordinateur des EGA, « définir la valeur des coûts de production est un travail qui doit réunir les instituts, les chambres d’agriculture, mais aussi les centres de gestion. Il devra en sortir un seul prix. » Un avis partagé par Thierry Roquefeuil, président du Cniel. « Dans le plan de filière laitière, l’ensemble des acteurs économiques a signé pour la détermination d’un coût de production objectivé et utilisé par tous, quels que soient le maillon de la filière et les appartenances syndicales. Sa vocation sera d’être une valeur seuil, en deçà de laquelle le prix du lait ne devra pas descendre. »

Toutefois, des interrogations subsistent sur le terrain. « Les coûts de production varient d’une région à l’autre, et à l’intérieur d’une même région », observe Claude Bonnet, président de l’Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis (Unell). En mars dernier, l’organisation de producteurs (OP) transversale France Milk Board avançait même des coûts de production « variant de 395,60 €/t en Bretagne, à 592,6 €/t en Rhône-Alpes », pour une moyenne française atteignant 450 €/t.

Est-ce le bon indicateur ?

« L’obligation de prendre en compte les coûts de production, inscrite dans le projet de loi des EGA, est venue rebattre les cartes dans nos réflexions », reconnaît David Renault, en charge du dossier « formule de prix » à l’association d’OP Sunlait. Depuis plus d’un an, ces producteurs livrant à Savencia ont davantage travaillé sur la notion de marge, en se basant sur l’indice Milc (1). « En tant qu’éleveurs, notre objectif est de toujours diminuer nos coûts de production, poursuit-il. Nous craignons que cela devienne un nouvel argument des industriels pour abaisser le prix du lait. Il nous paraissait plus évident de négocier un besoin de marge lié à notre rémunération ou à la réalisation d’investissements, plutôt que sur la base d’une augmentation de nos coûts de production. Raisonner en chef d’entreprise, c’est établir un budget en fonction d’une marge prévisionnelle. »

Sécuriser le prix du lait

En France, les éleveurs livrant à Danone ont été les premiers à expérimenter la prise en compte d’indicateurs de coûts de production dans la formule du prix du lait. Cette clause est inscrite dans le contrat-cadre entre l’industriel et ses OP, signé en février 2017 en contrepartie d’un engagement de réduction des volumes livrés. « Ce fut un combat de plusieurs années, reconnaît Jean Robin-Brosse, président de l’OP Danone Sud-Est. Nous sommes parvenus à un accord sur la base de l’Ipampa lait de vache (2) de 2014 établi à 250 €/1 000 l, additionné d’une rémunération du travail à hauteur de 100 €/1 000 l. Depuis la signature du contrat-cadre, la valeur de l’Ipampa varie tous les six mois, mais les 100 € de rémunération restent fixes. » Cette partie « coût de production » représente 50 % de la formule du prix du lait. « C’est la proportion la plus importante parmi les OP Danone, confie Jean Robin-Brosse. Cela nous a permis de sécuriser notre prix du lait, en limitant sa baisse en 2016, et au début de 2017. Et lorsque la partie « coûts de production » tire le prix du lait vers le bas, c’est que la conjoncture est favorable. »

Aux réflexions sur la méthode de calcul s’ajoutent donc celles sur la manière d’intégrer les coûts de production dans la formule de prix du lait. « Cette mécanique doit uniquement s’appliquer sur les volumes valorisés sur le marché intérieur, estime Olivier Allain. Si l’on parvient à sécuriser le prix de 20 à 30 % de ces volumes, alors il y aura des avancées pour la rémunération des éleveurs. Mais si l’on s’en tient à 5 %, ce sera clairement un échec. En revanche, la prise en compte des coûts de production ne doit pas s’appliquer sur les volumes destinés au marché des commodités laitières à l’export, car elle viendrait diminuer notre compétitivité. »

« Un débat franco-français »

Pour Claude Bonnet, « le label France Terre de Lait présenté dans le plan de filière légitimera la démarche auprès des consommateurs français, qui sont désormais attentifs à la rémunération des éleveurs. Les distributeurs semblent également plus réceptifs qu’avant. » Mais le président de l’Unell considère que « la prise en compte des coûts de production est un débat franco-français. Récemment, la coopérative danoise Arla a annoncé sa venue sur le marché de la restauration hors domicile. Nous sommes concurrencés sur nos terres. Il convient donc de rester très prudent. » Ce discours sera-t-il audible par les producteurs, dont les trésoreries sont mises à rude épreuve depuis bientôt trois ans ? « L’intégration des coûts de production devra être discutée avec l’aval sur la globalité des volumes, souligne Thierry Roquefeuil. Les éleveurs ne produisent pas de janvier à juillet pour le marché français, et le reste de l’année pour l’export. »

Car le temps presse. À l’amorce de la nouvelle campagne laitière, les premières annonces de prix pour le mois d’avril, émanant des transformateurs privés comme des coopératives, se rapprochent dangereusement du seuil symbolique de 300 €/1 000 l.

(1) Marge Ipampa lait de vache sur coût total indicé, obtenue par différence entre la valeur du panier de produits et celle du panier de charges.

(2) Indice des prix d’achat des moyens de production agricole typiques des exploitations laitières spécialisées.

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