Prix agricoles Une loi chargée de désillusion
L’heure de vérité a sonné pour le texte issu des Etats généraux de l’alimentation.
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Dernière ligne droite pour le projet de loi agriculture et alimentation. Les députés l’ont adopté en deuxième lecture le 15 septembre, vers 5 h du matin. Ils étaient quarante-cinq dans l’hémicycle. Guère plus lors des discussions, les trois jours précédents. Signe de désenchantement pour un texte pourtant annoncé comme révolutionnaire ? Celui-ci occupe depuis huit mois l’agenda du Parlement, malgré une procédure accélérée décrétée par le gouvernement. Les débats ont été nombreux et le dénouement est proche : les sénateurs s’en empareront le 25 septembre, avant un vote final dans la foulée. L’Élysée s’est engagé à ce que les nouvelles règles du jeu en matière commerciale soient applicables dès les prochaines négociations, en novembre.
Pari risqué
Pourquoi tant d’atermoiements législatifs ? Le choix d’une loi « fourre-tout » allant de la répartition de la valeur dans la chaîne agroalimentaire à l’interdiction des touillettes en plastique, l’explique en partie. Mais pas seulement. L’article premier du texte s’attaque à un point politiquement sensible : celui du degré d’intervention de l’État dans les relations privées, au sein des filières.
D’un côté, le gouvernement milite en faveur d’une « responsabilisation des acteurs économiques » sur le marché. Pas question d’interférer : il leur revient d’établir eux-mêmes les indicateurs de coûts de production devant servir à la construction des prix. « Nous faisons le pari du consensus », a plaidé le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, devant l’Assemblée nationale. De l’autre côté, la profession agricole réclame un rééquilibrage des rapports de force. « Si on met un poids plume et un poids lourd sur le ring, on sait qui va gagner », résumait Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, le 10 septembre.
Conscients du problème, des députés de tous bords se sont battus pour une validation des indicateurs par une autorité publique. En l’occurrence, l’Observatoire des prix et des marges. Selon Guillaume Garot (PS), « l’État doit assumer son rôle de régulateur dans l’économie de marché ». Jean-Luc Mélenchon (FI) va plus loin : « L’idée d’une culture contractuelle qui parvienne à régler la question des prix est une vue de l’esprit. Autant distribuer des pattes de lapin et des fers à cheval aux paysans ! »
« Un bâton de dynamite »
L’argumentaire avait convaincu en première lecture. Pas cette fois-ci. Sous la pression du gouvernement, l’Assemblée nationale a rejeté la possibilité d’obtenir des indicateurs de prix frappés du sceau de l’État. Exit l’Observatoire des prix et des marges, si ce n’est pour un simple rôle de conseil. « Ce n’était pas compatible avec le droit européen et ce serait surtout complètement inefficace, justifie le député rapporteur Jean-Baptiste Moreau (LREM). Si l’acheteur ne valide pas l’indicateur, il se débrouillera pour l’appliquer le moins possible. » Colère du communiste André Chassaigne : « Ce que vous faites, c’est une mèche lente sur un bâton de dynamite, parce qu’il va y avoir des déceptions ! » Les syndicats agricoles ont vite fait part des leurs (lire ci-contre). Droit dans ses bottes, Stéphane Travert assume : « On est allés au bout de ce que nous pouvions faire en droit. » Il donne jusqu’à fin septembre aux filières pour se mettre d’accord sur leurs indicateurs et leur diffusion.
Les marchés priment
Certaines filières doutent de la pertinence de la méthode. « La logique de coûts de production ne veut rien dire dès lors que nous sommes exposés aux marchés internationaux », souligne Luc Barbier, président des producteurs de fruits (FNPF). « Avec des filières aussi variées que les nôtres, nous préférons travailler sur la contractualisation », renchérit Jacques Rouchassé, président de Légumes de France. En lait, « cela fait belle lurette que nous partageons des indicateurs, confie Jehan Moreau, directeur de la Fnil (industriels laitiers). Mais il ne faut pas croire que cela conduira à une augmentation du prix. Ainsi, 40 % du lait français est exporté et la péréquation doit prendre en compte le marché extérieur, qui n’est pas brillant… »
Pour l’économiste Philippe Chalmin, l’affaire est tranchée : « Les prix ne sont plus déterminés par les industriels ou les distributeurs mais au niveau des marchés européens et mondiaux. En disant aux agriculteurs qu’ils allaient avoir des justes prix grâce à cette loi, on les grugeait ! » (1)
« Cette loi est machiavélique, tacle Jehan Moreau. En recourant aux interpros, l’État se dédouane et fait passer ce message aux professionnels : ne revenez plus vous plaindre rue de Varenne (au ministère de l’Agriculture, N.D.L.R.). J’ai peur que la désillusion soit grande ! »
Avocat au cabinet Fidal, Nicolas Gransard se montre malgré tout optimiste. « On apprécie la qualité d’un texte à la capacité des acteurs concernés de s’en saisir, tempère-t-il. Or les indicateurs complètent la boîte à outils à leur disposition (LME, réforme des contrats…). » Il ajoute toutefois croire plus « à l’effet psychologique que juridique ». « Cette loi a le mérite de poser le débat de la construction des prix entre les parties et auprès du public, ce qui peut être impactant. » Suffisant pour relever le moral des campagnes ? Il faudra encore patienter pour s’en assurer.
(1) Revue Sésame, 3 septembre 2018.
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