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Modulation de doses La contre-offensive des satellites

Avec la mise en service du second satellite de la mission d’observation Sentinel 2, des images précises des champs sont disponibles tous les cinq jours, gratuitement. Les drones n’ont qu’à bien se tenir.

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Drone par-ci, drone par-là : depuis trois ans, le drone agricole est présenté comme l’outil incontournable pour qui veut se lancer dans l’agriculture de précision et moduler ses intrants. La force du drone, c’est de fournir une image quasiment en temps réel d’une culture. En comptant le travail d’analyse réalisé ensuite par le prestataire, il s’écoule en moyenne quatre à cinq jours entre le survol et la mise à disposition de la carte de préconisation. De son côté, l’imagerie par satellite n’était pas capable de rivaliser. En effet, le principal satellite ne passant au-dessus d’un même point que tous les dix jours, l’observation du stade de la culture n’était souvent plus très pertinente. Mais ça, c’était avant. Car depuis quelques mois, les satellites sont capables de fournir des images de vos champs tous les cinq jours.

Deux satellites en orbite

Tout a basculé dans la nuit du 6 au 7 mars 2017, lorsque le satellite Sentinel 2B a rejoint son frère Sentinel 2A en orbite polaire à 786 km de la terre. Au lieu de fournir des images du même point tous les dix jours, à eux deux ces modules sont capables de transmettre des clichés tous les cinq jours. D’une largeur au sol de 290 km et d’une résolution de 10 à 60 m selon les bandes spectrales allant du visible au moyen infrarouge, ces images sont essentiellement consacrées à l’observation des cultures, des forêts et, plus généralement, de toutes les terres émergées. Pour Amanda Veloso du Cesbio (1), « l’intérêt est aussi de multiplier les chances d’obtenir des images sans nuage ». Comme Sentinel 2A lancé en juin 2015, Sentinel 2B possède une durée de vie de sept ans, et il est déjà prévu qu’une seconde génération prenne le relais. Airbus Defence and Space est le maître d’œuvre pour ces satellites et leurs instruments.

Un programme européen

La mission Sentinel 2 fait partie du programme d’observation et de surveillance de la Terre Copernicus. Héritier des programmes Landsat de la Nasa et Spot du Cnes, il est conduit par l’Union européenne. En plus de Sentinel 2, le programme intègre six autres missions : Sentinel 1 pour l’imagerie radar jour/nuit et l’observation à travers les nuages et la pluie, Sentinel 3 qui mesure la topographie des mers, Sentinel 4 affecté à la surveillance de la qualité de l’air, Sentinel 5 qui surveille l’ozone stratosphérique et le climat, Sentinel 5P qui observe les composants atmosphériques, et enfin Sentinel 6 qui surveille les changements à la surface de la mer et les courants océaniques avec une précision de quelques mètres.

Avec la mise en place de l’ensemble de la mission Sentinel 2, Airbus double la capacité de collecte de données utilisées par son service Farmstar, qui s’appuie jusqu’à présent sur les satellites Spot. Ce dernier, développé en partenariat avec les instituts techniques dont Arvalis-Institut du végétal, délivre des conseils à la parcelle, à des stades clés de la croissance des cultures. Les informations sur l’état du végétal, issues des images satellites, sont interprétées avec des modèles statistiques. Les résultats sont traduits en conseils agronomiques et transmis aux agriculteurs sous forme de cartes, pendant toute la campagne. Avec Sentinel 2, ces cartes vont gagner en pertinence et en précision. « Actuellement, 18 000 agriculteurs utilisent Farmstar, ce qui correspond à 800 000 ha de cultures, annonce-t-on du côté d’Airbus. En 2016, 120 000 ha ont été pilotés en modulation automatisée. »

Des images gratuites

Mais les utilisateurs de Farmstar ne seront pas les seuls à bénéficier des images collectées et envoyées par Sentinel 2A et 2B. En effet, ces images sont gratuites et peuvent être obtenues par tous. Pour obtenir les images réalisées lors des survols de votre exploitation, il suffit de vous rendre sur le site PEPS (plate-forme d’exploitation des produits Sentinel) mis en place par le Cnes (2) à l’adresse suivante : http://peps.cnes.fr. Là, après inscription gratuite, vous pourrez chercher les images vous concernant puis les télécharger. Le moteur de recherche est loin d’être convivial, mais avec un peu de persévérance, on peut réussir à obtenir les vues souhaitées en quelques minutes. La quantité de photos téléchargeables est théoriquement limitée, mais le quota alloué dépasse très largement la capacité de stockage de votre ordinateur. Ce facteur ne sera donc pas limitant. En revanche, il est nécessaire de télécharger un logiciel spécifique, gratuit lui aussi, pour pouvoir lire ces cartes. Une fois les vues obtenues, l’étape la plus compliquée commence, celle de leur exploitation.

Les offres se multiplient

La gratuité de ces images très précises et fréquentes n’a pas échappé aux prestataires de services, qu’ils soient publics ou privés. Dans le domaine des cartes de modulation, des offres complémentaires ou concurrentes de Farmstar sont en train de voir le jour. Ainsi, Yara a dévoilé récemment Atfarm (voir p. 43), un nouveau service de pilotage de la fertilisation azotée. Contrairement à son dispositif N-Sensor, il ne nécessite pas d’investissement initial car il est basé sur l’analyse des cartes fournies par Sentinel 2. Le service, disponible seulement sur blé pour le moment, est gratuit dans sa phase de lancement. À terme, il sera disponible sur la plupart des cultures et soumis à abonnement.

Les assureurs aussi se tournent vers le ciel, notamment avec un outil développé par Airbus, l’indice de production fourragère. Cet indice validé par le ministère de l’Agriculture fournit une estimation fiable et objective des pertes de production des prairies liées à des évènements climatiques. L’indice est calculé à partir des images satellites de la production d’herbe acquises tout au long de la saison et d’une référence historique remontant jusqu’en 2003. Il est déjà utilisé sur 107 000 ha au travers de 1 400 contrats passés entre les éleveurs et leurs assureurs.

Un microsatellite

Sentinel 2 n’est pas la seule mission qui passe à l’offensive. Plus discret mais tout aussi précis, Venus est un projet franco-israélien dédié au suivi fin et régulier de la végétation terrestre. Cette mission emploie un microsatellite, c’est-à-dire une solution à mi-chemin entre le satellite conventionnel comme Sentinel et les nouveaux nanosatellites. La mission Venus est capable d’envoyer des images acquises, dans 12 bandes spectrales, par une caméra fournie par le Cnes. Ces images bénéficient d’une haute résolution spatiale (entre 5 et 10 m au sol) et sont envoyées tous les deux jours. Venus a livré ses premières images en août 2017. Très centré sur les problématiques de l’agriculture méditerranéenne, ce programme a comme priorité l’exploitation des données satellites pour construire des modèles favorisant une gestion de l’eau optimisée et plus économe. Pour le moment, les images collectées par Venus ne sont pas accessibles au grand public et ne peuvent donc pas être exploitées pour le bénéfice direct des agriculteurs. Il est tout de même permis d’espérer, car la demande est là, en particulier chez les agriculteurs israéliens.

Et la confidentialité dans tout ça ? Si vous pouvez télécharger gratuitement les images de vos parcelles, dites-vous bien que n’importe qui peut faire de même. C’est d’ailleurs sans surprise que la Commission européenne s’intéresse à ce nouvel outil pour ses contrôles futurs. Alors prudence, Big Brother vous regarde… et il le fait gratuitement !

(1) Centre d’études spatiales de la biosphère.

(2) Centre national d’études spatiales.

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