Login

Protection des données Les farmers installent des barbelés

Les agriculteurs français veulent s’inspirer de la charte mise en place par les Américains pour protéger leurs données. Mais outre-Atlantique, certains farmers souhaitent aller plus loin et tirer un bénéfice direct du big data.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Personne ne s’attendait vraiment à une déclaration sur la propriété des données agricoles lors des vœux de la FNSEA, le 10 janvier dernier, tant la priorité semble être ailleurs pour le moment. Pourtant, Henri Bies-Péré, deuxième vice-président du syndicat, a dévoilé le projet d’une charte sur l’utilisation et la propriété des données des agriculteurs. Un intérêt soudain pour le numérique qui semble poussé par la base. Car l’appétit des constructeurs, des coopératives et des fournisseurs d’intrants pour les données générées sur les exploitations ne passe plus inaperçu. Il conduit de nombreux exploitants à s’interroger sur leur valeur réelle.

Des big datas, tous les agriculteurs en produisent. Ce sont les données enregistrées par le tracteur, le robot de traite, le logiciel de gestion parcellaire, la station météo ou le dispositif de pesée de la mélangeuse. Pour le moment, rares sont ceux qui exploitent réellement ces données. Dans la plupart des cas, il est déjà difficile de les récupérer et de les transférer dans un format exploitable sur le PC de l’exploitation. En revanche, ceux qui réussissent à en tirer parti, ce sont les fournisseurs de machines, d’intrants et de services qui gravitent autour des exploitations. Ces données sont récupérées lors des mises à jour et des entretiens de routine, voire envoyées directement au fournisseur grâce à la télématique. Elles servent à améliorer les prestations, à ajuster l’offre commerciale et surtout à développer de nouveaux services, comme des outils d’aide à la décision (OAD), qui sont ensuite revendus aux agriculteurs. « C’est un comble que l’agriculteur se voit proposer un service payant développé à partir des données qu’il a fournies ou qu’il a laissé capter », insiste Henri Bies-Péré.

Une charte pour garde-fou

D’où le projet de charte sur lequel planche la FNSEA. Prévue dans les semaines à venir, elle demanderait un engagement de la part des firmes (constructeurs, coopératives, fournisseurs de logiciels) qui collectent les données des agriculteurs.

Le syndicat compte s’appuyer sur l’exemple de son homologue américain, le Farm Bureau, qui a établi une charte sur les données en 2014. Outre-Atlantique, ce sont toutes les polémiques autour de l’utilisation des données personnelles par les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazone) qui ont conduit les farmers à se pencher sérieusement sur l’utilisation faite de leurs données professionnelles.

Rapidement, le Farm Bureau a constaté que les entreprises américaines de l’agrobusiness n’avaient rien à envier aux Gafa et qu’il était temps de mettre des freins à des conduites débridées. « Nous avons constaté que certaines données de l’exploitation sont vendues aux banques ou aux négoces, ce qui les met en position de force dans leur relation avec l’agriculteur, se souvient Kim Baker, en charge de ce dossier au sein du Farm Bureau. Cette pratique est particulièrement marquée dans les filières intégrées comme la production porcine. »

Pour les céréaliers, cette circulation non régulée des données a une autre conséquence : ils se font rattraper par la patrouille à la moindre erreur lors des traitements. En effet, une loi environnementale américaine oblige toute entreprise qui a connaissance d’une infraction à dénoncer son auteur, sous peine d’être accusée de complicité. « On imagine très bien ce qui se passe lorsqu’un constructeur de pulvérisateurs accède aux données de l’engin et se rend compte d’une mauvaise manipulation. Vous amenez votre matériel en révision et, le lendemain, la police est à la porte de l’exploitation », déplore Paul Schlegel, qui gère les questions environnementales au Farm Bureau.

Afin de protéger les données des agriculteurs, le syndicat agricole a négocié la mise en place d’une charte avec les collecteurs de ces big datas. Un véritable bras de fer qui a abouti, en novembre 2014, à la signature d’une douzaine d’organisations. Ils sont une quarantaine actuellement, dont des poids lourds comme John Deere, Agco, CNH, Monsanto et Syngenta. Le Farm Bureau regrette cependant qu’en dépit de ses efforts, la plupart des intervenants du secteur de l’élevage, de l’installation de traite jusqu’à l’alimentation, refusent de la signer. « Pour le moment, c’est une démarche qui ne concerne que les céréaliers du MidWest et la route est encore longue pour protéger les données des éleveurs », constate Kim Baker.

Le Farm Bureau travaille aussi à améliorer la transparence sur l’utilisation des données avec un site internet qui recense toutes les entreprises garantissant leur traçabilité totale. Dans la liste, on ne trouve que des start-up et des petits éditeurs de logiciels. Visiblement, pour les gros bras de l’agrofourniture et du machinisme, la transparence a ses limites.

Pour certains farmers, la charte ne suffit pas et la donnée possède une valeur qui doit revenir à l’agriculteur. Plusieurs start-up, dont FarMobile, se sont lancées dans l’installation de boîtiers connectés chez les agriculteurs, afin de récupérer leurs données. Avec cette pratique, elles ont mis un prix sur ces big datas. Il faut compter par exemple 1,6 €/ha pour une donnée de rendement, 1 €/ha pour la pulvérisation. De plus en plus de farmers font le choix de cette vente de données « au détail ».

La France joue collectif

En France, cette démarche individuelle n’a pas la cote. « Seule, la donnée n’a pas de valeur. Ce n’est qu’agglomérée à tout un ensemble de données équivalentes qu’on peut en tirer une analyse et donc un bénéfice pour l’agriculteur », martèle François Brun, en charge de ce dossier à l’Acta.

Le rapport sur les big datas en agriculture, dit « Rapport Bournigal » remis le 10 janvier à Stéphane Le Foll et Axelle Lemaire, insiste sur l’urgence de créer un portail de partage des données ouvert à tous. Il devra favoriser le développement d’outils d’aide à la décision pour les agriculteurs. Reste à convaincre ces derniers, qui génèrent et possèdent la plupart de ces données, de l’intérêt de mettre leurs big datas à la disposition de tiers, qui vont les valoriser sous forme d’outils d’aide à la décision.

Selon Jean-Marc Bournigal, « il faut construire la confiance en attribuant la gouvernance du système à la profession agricole et en ne dévoilant pas leurs données sensibles aux tiers non autorisés ». Un vaste programme qui commencera dès le prochain Sia, avec un atelier visant à faire émerger une vision collective autour de ce projet de portail agricole ouvert.

Reste l’épineuse question financière. Comment seront rémunérés les agriculteurs qui fourniront les données utilisées pour développer des OAD ? Auront-ils un accès gratuit à l’outil ou juste la satisfaction d’avoir œuvré pour le bien commun ? Dans un contexte de prix des matières premières agricoles très tendu, certains pourraient être tentés, comme leurs collègues américains, d’ajouter un nouvel atelier à leur exploitation : la production de données.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement