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Grippe aviaire Les remèdes en débat

Les règles de biosécurité drastiques, qui s’imposeront à la filière foie gras pour se prémunir contre le virus, modifieront l’organisation du maillon production.

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Des parcours déserts, des salles de gavage silencieuses… L’influenza aviaire a mis la filière palmipède à genoux. Vu l’état des trésoreries, il n’est pas envisageable que le proverbe « Jamais deux sans trois » se vérifie. Pour cela, il faut comprendre d’où vient ce virus et comment il se propage, afin d’adapter les pratiques pour s’en protéger.

L’ennemi est sournois : selon les années, les souches virales diffèrent et ne se propagent pas de la même façon. En 2015, il s’agissait de « virus réservoirs » (H5N1, H5N2 et H5N9), qui circulaient « à bas bruit » dans les élevages depuis plusieurs années, avant de muter et devenir hautement pathogènes. « Les filières courtes et les bandes multiples ont été les plus exposées », constate Laurent Deffreix, vétérinaire dans le Lot-et-Garonne. En 2016, le H5N8, très pathogène, est arrivé d’Asie par les oiseaux migrateurs, puis s’est propagé dans le Sud-Ouest via l’activité humaine. Ce sont les filières longues qui ont été concernées en premier lieu. « On ne lutte pas de la même façon, chaque filière a ses risques et ses contraintes. Ainsi, le vide sanitaire instauré l’an dernier était moins efficace cette année et l’abattage total est le seul outil à disposition pour enrayer la progression du H5N8. »

Face à ces différents cas, les éleveurs sont contraints de s’adapter. La plupart des mesures de biosécurité font consensus : sas sanitaire, bottes et habits réservés à une unité de production, vide sanitaire, désinfection, maîtrise des risques de contamination par les visiteurs et les camions, etc.

Deux visions opposées

Deux mesures prônées par l’interprofession du foie gras (Cifog) sont contestées par une partie de la profession : la claustration en période de risque élevé de dissémination du virus, qui concernerait tous les élevages, et la bande unique, qui serait imposée aux éleveurs spécialisés en filière longue. Benoît Branger, directeur de la coopérative landaise Foie gras de Chalosse, est inquiet : « Chez nos 60 producteurs, un seul a encore des canards. Nous avons à peine un mois de stock et les dates d’autorisation de remise en place sont inconnues. En 2016, nous avions « perdu » 3-4 producteurs mais nous en avions recruté d’autres. Cette année, nous allons de nouveau en perdre. Leur décision de poursuivre ou pas dépendra de l’obligation de claustration : ils n’ont ni visibilité, ni capacité à investir dans des bâtiments. Comme nous sommes en label rouge, nous devrions échapper à la bande unique. » Derrière les débats, se profilent deux conceptions différentes des modes de production.

Retour au local. La Confédération paysanne, la Coordination rurale et le Modef appellent à « un grand élan pour soutenir l’élevage de plein air », menacé par les exigences de claustration des volailles. Ils proposent des lots limités à 3 200 canards, et surtout des transports réduits au minimum grâce à une relocalisation des différentes phases d’élevage dans un périmètre restreint. Quitte à réduire la densité en contrepartie d’une hausse de prix. Pour les syndicats, la bande unique tend à accroître la taille des bâtiments et des lots pour compenser la baisse de volume. Ils estiment qu’il faut revenir à une production de foie gras haut de gamme, à un prix élevé. « On a voulu en faire manger tous les jours aux consommateurs, juge Sylvie Girard, présidente de la Coordination rurale de Nouvelle-Aquitaine. C’était une erreur, il y avait trop d’offres. »

Le modèle du poulet de chair. Le Cifog préfère miser sur l’amélioration des pratiques de biosécurité dans leur ensemble, sur le modèle de la production de poulet de chair. Pour Christophe Barrailh, président du Cifog, la priorité est de « sécuriser les différentes étapes de production ». Limiter les mouvements de canards d’une exploitation à l’autre doit aussi être réfléchi dans un deuxième temps.

Cumul de risques

« Les virus aviaires H5 sont devenus endémiques en Chine, avertit François Landais, vétérinaire dans les Pyrénées-Atlantiques. La France sera de nouveau touchée. Pas chaque année mais régulièrement. Or, le Sud-Ouest cumule les facteurs de risque, entre forte densité d’élevages de plein air et couloirs migratoires. Les éleveurs doivent avoir conscience que ce sont eux les premiers vecteurs du virus et que les mesures de biosécurité les concernent au premier chef. Il faut travailler l’efficacité et la biosécurité en filière courte et la rationalisation en filière longue. » Sylvie Girard critique « des groupements qui veulent imposer les schémas de production qui leur conviennent. Il vaudrait mieux rationaliser le transport d’animaux et d’aliments, estime-t-elle. Passer en bande unique représentera une perte colossale pour les éleveurs. Certains arrêteront, ça s’appelle la restructuration… » Le mot est lâché. Serge Mora, du Modef, redoute qu’on soit en train de faire investir massivement, comme dans le lait et le porc, aboutissant à une surproduction et un endettement massifs. « On est au bout d’un système, il faut changer de cap. »

Christophe Barrailh réfute. « La filière palmipède doit être plus robuste face aux incidents sanitaires. Ce qui nous oblige à une rupture forte, difficile mais qui vise au maintien de la filière à long terme. » Il réfute une quelconque manœuvre pour faire disparaître l’élevage de plein air. « Ça semble paradoxal mais, pour sauver le plein air, il faut construire des bâtiments plus confortables qui induiront des gains de performances. De plus, nous sommes sous le regard des autres filières avicoles, qui subissent des dégâts collatéraux : les canards sont des réservoirs à virus, qui s’expriment chez les gallinacés ! Les marques se sont engagées à revaloriser les prix pour compenser la perte de revenus. » Une promesse qui en laisse certains dubitatifs, même si le marché déficitaire en foie gras laisse espérer des hausses de prix.

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