Phytos Comment les communes s’en passent
Dans une zone à cheval sur quatre départements du Sud-Ouest, le dépeuplement apparaît comme la mesure de la dernière chance pour circonscrire le virus.
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Huit cent mille ? Un million ? Davantage ? Le nombre de canards qui seront sacrifiés sur l’autel de l’influenza aviaire est encore inconnu. Tout dépendra de l’efficacité de la mesure de « dépeuplement » mise en place le 5 janvier par les pouvoirs publics pour enrayer une propagation du virus devenue « explosive ». Ils procéderont par étapes, en élargissant progressivement les zones « jusqu’à ce que la situation se stabilise ». Sur le terrain, le fatalisme prévaut, plus que la colère.
Inévitables, ces abattages ? C’est ce que la parole officielle – État et filière – affirme unanimement. Le cru 2017 du virus aviaire s’avère redoutable pour les canards, très contagieux et avec des taux de mortalité élevés. Abattre toutes les volailles dans une zone à très forte concentration d’élevages permet de baisser la densité animale, donc la pression virale. Mais le ministère de l’Agriculture reconnaît qu’il avance à tâtons : « Aujourd’hui, l’épidémie est maîtrisée dans une zone, mais pas dans l’autre, sans qu’on sache bien pourquoi. La concentration d’élevages entre en jeu, mais aussi l’avifaune sauvage, qu’on ne maîtrise pas. »
Et encore, on a évité le pire… Pour Éric Lafuente, de la chambre d’agriculture des Landes, « s’il n’y avait pas eu l’épizootie de l’an dernier, cela aurait été la catastrophe. Des mesures de biosécurité avaient déjà été mises en place courant 2016, ce qui a limité la casse. Mais il faudra encore rehausser le niveau sur l’ensemble de la filière. Une culture collective du sanitaire est indispensable ». Car l’homme a un rôle prépondérant. « La dissémination de la souche H5N8 est essentiellement due à l’activité humaine », confirme-t-on au ministère. C’est le cas pour les trois quarts des 95 foyers identifiés au 6 janvier. Le maillon faible, c’est le transport, mais les autres règles de biosécurité ne sont pas toutes assimilées. Le ministère cite ainsi la mésaventure de cet éleveur qui, parti constater les dégâts du virus sur les canards de son beau-frère, est revenu chez lui sans désinfecter ses bottes, contaminant son propre élevage !
Une fois sortie de cette crise, la filière du canard gras ne fera pas l’économie d’une réflexion sur son fonctionnement, et le respect de la biosécurité par tous ses maillons : éleveurs, mais aussi transporteurs, livreurs d’aliments, vétérinaires, salariés…
Réorganiser la filière
Les syndicats minoritaires critiquent vertement l’organisation actuelle. Bernard Lannes, président de la Coordination rurale, regrette « l’intégration de la filière, tenue par les coopératives, où les éleveurs n’ont plus leur mot à dire. On met davantage de canards chez moins de gens, en augmentant les risques sanitaires, pour tirer le prix du foie gras vers le bas ! La solution n’est pas dans une augmentation à outrance de la taille des exploitations ». Le Modef des Landes suggère d’abaisser les densités de canards pour les systèmes industriels sous IGP, et de confiner les canards « hyper-industriels ». Il propose aussi la fin des transports des canetons et la limitation des distances parcourues par les canards. « Le système naisseur-éleveur-gaveur réapparaît comme le plus cohérent d’un point de vue sanitaire », souligne Christophe Mesplède, son président. Pour la Confédération paysanne, la question est de savoir ce que veulent les éleveurs en filière longue, « qui souffrent de voir leurs bêtes partir à l’équarrissage et leur image encore une fois salie ». Elle propose, par exemple, de limiter la production au mètre carré, d’encourager l’autonomie ou de « créer des couvoirs locaux pour développer des races de canards plus rustiques qui résistent mieux aux virus ».
La fragmentation de la filière interroge également les pouvoirs publics. « Peut-être faudra-t-il limiter les distances parcourues par les animaux et le nombre d’ateliers, suggère le ministère. Ou faire en sorte que les ateliers de gavage soient à proximité des élevages, quitte à « déspécialiser » les départements… » Il faudra aussi analyser les différents modèles de production en termes de coûts/bénéfices sur le plan sanitaire. Il apparaît que les éleveurs les moins touchés cette année sont les plus autarciques, sans entrée ni sortie de canards vivants. Ceux-là peuvent d’ailleurs déroger (sous conditions) aux abattages.
Pas de vaccination
Le ministère s’emploie aussi à rassurer la Confédération paysanne, qui s’inquiète de la disparition programmée des petits élevages : « L’image du foie gras du Sud-Ouest est portée par les petits éleveurs. La filière a donc besoin d’eux. » Pour preuve, les règles de biosécurité ont été adaptées aux différents modes de production.
Des voix s’élèvent pour réclamer un vaccin. Le H5N8 a été identifié pour la première fois en Russie, au printemps 2016. Ce qui laisse théoriquement le temps de développer un vaccin. Pourtant, cette option n’est pas envisagée car « on maîtrise les signes cliniques, mais pas l’expression virale », explique Isabelle Tourette, vétérinaire de GDS France. Les canards ne tombent pas malades, mais ils continuent à excréter le virus, de façon non détectable. Or, « on ne veut aucune circulation de l’influenza aviaire » en France. De plus, les palmipèdes « supportent mal ces vaccins ». Enfin, qui dit vacciner, dit perte du statut indemne. Ce qui est mauvais pour le commerce. Car ce sont alors les débouchés vers l’Europe et les pays tiers qui se fermeraient, mettant en danger l’équilibre économique de la filière. Et ce, même si les échanges portent sur des produits transformés, à risque nul.
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