Robots Vont-ils vous remplacer ?
Du semis jusqu’au raclage du lisier, les robots sont maintenant capables d’effectuer la plupart des tâches répétitives d’une exploitation agricole. Qu’ils suscitent l’envie ou le rejet, ces automates ne laissent personne indifférent.
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C’est ce qui s’appelle ménager l’effet de surprise. Alors que les visiteurs du Farm Progress Show, qui se tenait cette année fin août dans l’Iowa, s’attendaient à découvrir des chenillards et des moissonneuses-batteuses toujours plus monstrueux, ils ont été accueillis par des tracteurs autonomes chez Case IH et New Holland. Une présence inattendue qui a enflammé les réseaux sociaux.
Derrière ces deux automates se cache une collaboration avec ASI (Autonomous Solutions Inc.), une entreprise de l’Utah spécialisée dans les véhicules sans pilote pour les secteurs miniers et industriels. Mais comme le rappelle Mel Torrie, qui pilote ce projet chez ASI, l’entreprise n’en est pas à son coup d’essai dans l’agricole. « Dès 2001, nous avons collaboré avec John Deere pour développer un tracteur sans poste de conduite, qui a été présenté lors d’Agritechnica, se souvient l’ingénieur. Le marché n’était pas du tout prêt à l’époque et Deere a préféré se concentrer sur l’autoguidage et la télématique. Aujourd’hui, les deux solutions de CNH arrivent à un moment où l’autoguidage est entré dans les mœurs. Semer ou traiter sans toucher le volant n’est plus tabou, reste à faire accepter l’absence de chauffeur.
Trois concepts en concurrence
Contrairement à l’élevage, la robotisation des travaux en plein champ commence seulement à voir des solutions techniques fiables. Trois concepts se développent en parallèle. On trouve d’abord la solution dite « de transition », utilisée par New Holland. Le tractoriste italien a en effet décidé de conserver la cabine. Vu de l’extérieur, rien ne distingue ce tracteur d’un autre T8, si ce n’est l’absence de chauffeur derrière le volant. Baptisé NH Drive, il est capable de fonctionner 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. La combinaison d’un radar, de la télémétrie Laser (LiDAR) et de caméras RGB permet de détecter toute une série d’obstacles dans le champ. Le T8 robotisé est surveillé et contrôlé via un ordinateur ou une tablette. Un écran de traçage des trajectoires affiche la progression et un autre les images en direct de ses caméras, fournissant à l’utilisateur jusqu’à quatre vues en temps réel. Un troisième écran sert à surveiller et modifier les paramètres clés de la machine et de l’outil, comme le régime moteur, la pression sur les éléments semeurs ou la vitesse de travail. Au champ, les trajets sont générés automatiquement par le logiciel en tenant compte de la taille et de la forme de la parcelle. L’avantage du NH Drive par rapport à la concurrence, c’est la possibilité de remettre un chauffeur en cabine pour les opérations qui ne peuvent pas encore être robotisées, tel le travail dans les parcelles difficiles ou la manutention.
Son cousin Case IH embarque la même technologie ASI sur son Magnum automate mais a fait le choix radical de supprimer la cabine. Une décision qui a choqué les visiteurs du Farm Progress Show et les internautes. Ce Magnum n’est pourtant pas le seul robot sans cabine sur le marché puisque la société ATC (Autonomous Tractor Corp.), basée dans le Dakota du Nord, travaille depuis deux ans à la version commerciale du Spirit, un tracteur robotisé dont le design pourrait se résumer à un groupe électrogène sur chenilles.
Face à ces deux concepts américains, le bavarois Fendt opte pour une solution différente, celle du travail en essaims, c’est-à-dire de toutes petites unités opérant de concert. Le concept Mars comprend un robot principal, l’unité logistique, qui peut être déplacé avec un pick-up. À l’intérieur de cette unité se trouvent toutes les petites unités robotisées. Elles sont libérées en arrivant sur la parcelle. Mars se concentre pour le moment sur le semis monograine, chaque unité se chargeant d’emblaver un seul rang. « Une performance qui peut sembler dérisoire mais en « lâchant » 72 unités dans une parcelle, on sème 72 rangs en un passage sans tasser le sol », précise Rob Smith, de Fendt.
Et les utilisateurs dans tout ça ? Alan Roland, entrepreneur à Hemingford dans le Nebraska et testeur de moissonneuses-batteuses pour la station de l’OCDE, a d’abord eu une réaction de rejet face aux robots de CNH. « Observer ce tracteur sans cabine chez Case IH m’a remué, se souvient avec émotion l’entrepreneur, peut-être parce que c’était étrange de voir un Magnum avec un air de gros quad. Mais après quelques jours de réflexion, je me suis dit que la possibilité d’atteler ce tracteur robotisé à nos transbordeurs présentait un réel intérêt. Nous sommes une petite structure familiale et, à chaque moisson, le recrutement de chauffeurs qualifiés pour deux mois de travail sans interruption nous pose de très gros problèmes. Automatiser la logistique m’enlèverait une épine du pied. »
La demande existe
Le problème de la main-d’œuvre, c’est justement l’argument principal avancé par les concepteurs de ces robots. « Pas de chauffeur ? Pas de problème » est même devenu le credo de Terry Anderson, agriculteur, ingénieur et fondateur d’ATC. Il doit pourtant encore convaincre les céréaliers de l’intérêt de remplacer un couple tracteur-chauffeur par un robot. « La route est encore un peu longue mais ça se fera naturellement, lorsque les agriculteurs prendront conscience qu’ils paient un gars pour rester assis dans le tracteur à regarder des vidéos pendant que l’autoguidage fait tout le travail », affirme celui qui a de grandes difficultés à recruter pour l’exploitation familiale située dans la très peu attractive « petite Sibérie » américaine, au nord du Minnesota.
Ceux qui n’ont plus besoin d’être convaincus de l’intérêt de robotiser les travaux des champs, ce sont les maraîchers. « Depuis que nous travaillons à une nouvelle version du robot Anatis, nous sommes sans cesse sollicités par des agriculteurs et des coopératives, se félicite Charles Adenot, responsable commercial et marketing chez Carré. On sent que la main-d’œuvre se fait très rare dans ce secteur et que plus personne n’a envie de biner des légumes. » Au Japon, la société Spread de Koji Morisada, basée près de Kyoto, s’apprête à produire plus de 30 000 laitues par jour en automatisant toutes les opérations. « Il n’y aura pas un humain dans la serre, annonce Koji Morisada, seul le semis sera réalisé à la main. » Cette ferme d’un nouveau genre sera opérationnelle début 2017.
L’intérêt de la robotisation est bien là mais les chefs d’exploitation sont-ils prêts à réaliser l’investissement nécessaire ? « C’est un calcul à faire, affirme Mel Torrie, d’ASI. Dans le cas d’un tracteur sans poste de conduite, il faut retirer tous les coûts liés à la cabine, la climatisation, l’électronique, etc. qui compensent en partie les coûts de modification pour la robotisation. Il y a aussi le bénéficie agronomique, avec des attelages moins lourds du fait de l’absence de cabine. Et enfin, il y a le gain indéniable sur la main-d’œuvre, même si je peux comprendre que les chauffeurs salariés s’inquiètent pour leur avenir. Certains pourront se reconvertir dans la maintenance et le contrôle des robots, qui resteront des emplois locaux. »
L’avance de l’élevage
Cette agitation autour des robots des champs fait doucement sourire chez les spécialistes de l’élevage. « En production laitière, porcine et avicole, les débats sur l’intérêt des robots sont clos depuis plus de dix ans », s’amuse un spécialiste du robot de traite. En France, l’Institut de l’élevage estime que près de 5 000 exploitations laitières sont déjà équipées d’une ou plusieurs stalles robotisées. Et les robots racleurs ou repousse-fourrage, qui faisaient sourire tout le monde à leur lancement, font partie des investissements les plus fréquents. Aviculteurs et porchers cherchent à robotiser toutes les astreintes pour faire face à une raréfaction de la main-d’œuvre.
Les progrès de l’informatique facilitent aussi la mise en place d’un robot dans un élevage. « Nous utilisons maintenant des ordinateurs embarqués fonctionnant sous Linux, explique Stéphanie Lefrançais, chef produit chez Lely. Avec de tels calculateurs, le robot est capable de se repérer dans le bâtiment, d’apprendre et de s’adapter. Il n’est plus prisonnier d’un tracé prédéfini au sol. On est bien loin des premières versions avec un trajet linéaire dans le bâtiment.
« Tout le monde est d’accord pour dire que le métier d’éleveur ne se résume pas à racler du fumier ou traire, il est temps d’accepter que le travail de céréalier, ce n’est pas de passer des heures dans le tracteur à labourer ou traiter, plaide Terry Anderson. Ceux qui sont passés au robot de traite en espérant consacrer moins de temps à leur troupeau se sont cassé le nez, il en sera de même pour les céréaliers qui voudront se décharger de la surveillance des cultures. »
Retour à l’agronomie
Arvalis-Institut du végétal, avec son programme Digi-Fermes, explore justement les possibilités offertes par la robotisation en remettant l’agronomie au centre des décisions. Un « retour à l’observation et à l’agronomie » qui s’avère, selon l’institut technique, être l’un des derniers grands leviers de progrès. Le rôle des robots dans cette nouvelle façon de travailler sera de décharger l’agriculteur de toutes les tâches basiques afin qu’il puisse se concentrer sur les opérations qui nécessitent observation critique, réflexion et savoir-faire. Quant aux entrepreneurs de travaux agricoles, certains se voient déjà en gestionnaires de flottes de robots, comme Jared Schemper d’Holdrege (Nebraska), qui teste régulièrement des prototypes pour ATC. Une révolution que son père LaVerne suit d’un œil critique, tout en reconnaissant « qu’il faudra bien apprendre à faire avec les robots ».
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