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MAEC Que de promesses non tenues !

Le budget tendu oblige les Régions à revoir leur politique agroenvironnementale.

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Victimes de leur succès, les MAEC ? Ou d’un défaut collectif d’anticipation et de clairvoyance ? Un an après le lancement de la programmation Pac 2015-2020, les « mesures agroenvironnementales et climatiques » du second pilier, désormais piloté par les Régions, ne sont pas à la hauteur des promesses. « On a incité les agriculteurs à s’engager et il n’y a pas de quoi les payer ! », fulmine Étienne Gangneron, président de la chambre d’agriculture du Cher, qui se dit « miné par le signal qu’on envoie ». Sans parler du retard dans l’instruction des dossiers…

Selon les estimations nationales (1), 22 000 demandes de MAEC auraient été déposées en 2015. La moitié concernerait une mesure « système », nouveauté apparue en 2015 qui vise des changements de pratiques globaux engageant toute l’exploitation (contrairement aux mesures « localisées »). Ces chiffres dépassent les prévisions les plus optimistes, surtout pour les mesures herbagères et polyculture-élevage. Trop de succès tue le succès : c’est au prix de nombreux déçus que les Régions pourront rentrer, parfois au chausse-pied, dans leur maquette financière. Quitte à faire une croix sur leur philosophie de départ.

Exclus d’office

Certaines ont joué la prudence en limitant le nombre de mesures et de territoires ouverts à la souscription en 2015. C’est le cas du Pays de la Loire, qui a utilisé la nouvelle boîte à outils MAEC pour renouveler l’existant, ni plus ni moins. L’ouverture de MAEC a donc été restreinte principalement aux zones « à enjeu » (milieux humides notamment), prenant la relève des anciennes MAE territorialisées. Cette gestion, excluant d’office de nombreux exploitants, a ses détracteurs. Mais elle laisse dans l’enveloppe MAEC-Bio quelque 112 millions d’euros (M€) pour le reste de la programmation, jusqu’en 2020. La contractualisation se poursuivra sur les territoires ouverts et d’autres s’y ajouteront.

À première vue, la Picardie et Paca s’estiment elles aussi dans les clous. En Auvergne, qui s’est concentrée sur la mesure herbagère, « il y a pour l’instant de quoi couvrir les besoins, indique Emmanuel Ferrand, ancien président de la FRSEA aujourd’hui élu à la Région. Il faudrait même se dépêcher d’ouvrir plus largement pour consommer l’enveloppe ! » Sa voisine, Rhône-Alpes, pourrait être à court de crédits avant la fin de la programmation. Idem en Languedoc-Roussillon, où on n’est pas sûr de pouvoir lancer une troisième campagne MAEC en 2017, indique Judith Carmona, conseillère régionale issue des rangs de la Confédération paysanne. Ayant mangé presque toute leur enveloppe la première année, de nombreuses Régions ont revu leur politique dès 2016. En Aquitaine et en Lorraine, on promet que les contrats signés en 2015 seront payés dans les conditions fixées initialement. Mais ceux signés en 2016 voient leur plafond d’aides abaissé, parfois divisé par deux.

Là où les mesures ont été ouvertes largement en 2015, une sélection s’impose. Soit le tri a été fait en amont par les animateurs de la MAEC, comme en Franche-Comté qui avait exigé un « pré-engagement » des agriculteurs : ceux-ci ont été vite fixés sur leur situation (sauf erreur décelée lors de l’instruction). Soit il faut attendre que les dossiers soient instruits. Quelques milliers d’exploitants sauront en automne si leur demande déposée 18 mois plus tôt est acceptée ou non. En attendant, ils sont tenus de respecter le cahier des charges de la MAEC demandée. Ils connaissent au moins les critères qui les départageront, normalement définis en amont par une commission agroenvironnementale (Craec) associant la profession. Enfin… En Champagne-Ardenne, où les demandes d’engagement 2015 couvrent deux fois plus de surface que prévu, la sélection se fera sur la base de critères décidés lors de la Craec du 4 mai 2016, qui a aussi abaissé rétroactivement les montants plafonds.

Elle n’est pas la seule à avoir changé les règles a posteriori. En Bretagne, si le vice-président à l’agriculture, Olivier Allain, assure que « les 1 700 demandeurs de MAEC en 2015 seront servis », c’est parce que les curseurs ont bougé. Tous les plafonds ont été abaissés de 1 000 €. Une modulation de la transparence Gaec a aussi été décidée, pour « économiser 4 M€ et éviter de laisser trop d’exploitants sur le carreau ». En 2016, faute de budget, il avait été question de fermer les MAEC les moins exigeantes. Le plan régional « lait-viande » de 30 M€ permettra au contraire d’en proposer sur l’ensemble du territoire. À noter aussi que pour la mesure Polyculture-élevage, la Bretagne avait dès le départ, avec le feu vert de l’État, fixé des montants d’aides/ha inférieurs à ceux issus de la calculette nationale par souci de budget et de cohérence avec l’ancienne programmation. Aucune autre Région n’a osé le faire.

Substitut à la PHAE

C’est ce qui a mené la Basse-Normandie dans le mur. Avec plus de 2 900 demandes déposées en 2015, le besoin s’élève à 220 M€ ! Presque huit fois plus que l’enveloppe prévue pour les engagements 2015, mais aussi beaucoup plus que l’enveloppe totale de la programmation 2015-2020. Malgré une rallonge portant le budget 2015 à 63 M€, il a fallu faire des choix rudes. Six MAEC ouvertes en 2015 ne seront finalement pas financées : tant pis pour les 473 exploitants les ayant demandées. Parmi les MAEC restant ouvertes, la « SPEM3 » (2) fera l’objet d’une sélection drastique. La Région ne proposait pas la mesure herbagère mais avait ouvert la SPEM3 aux éleveurs ayant jusqu’à 100 % d’herbe, pour des montants allant jusqu’à 400 €/ha (déterminés par la calculette nationale). Logiquement, les herbagers se sont tournés vers cette mesure pour compenser la perte de la PHAE. Malgré un plafonnement rétroactif à 6 000 €/exploitation, toutes les demandes ne peuvent être satisfaites. Les exclus, qui ne connaîtront leur situation qu’à l’automne, pouvaient redéposer une demande en 2016, la mesure restant ouverte.

Ce ne sera pas le cas en Bourgogne, où l’enveloppe 2015 s’élève à 55,6 M€ après rallonge de l’État, quand 73,8 M€ sont requis. La MAEC herbagère a été la plus demandée, avec 143 000 ha. La chambre d’agriculture de Côte-d’Or a appris que seuls 60 % des dossiers seraient financés. Et ce malgré un abaissement rétroactif du plafond, de15 000 € à 10 000 €. Faute de budget, la mesure est fermée en 2016 : les recalés ne seront pas rattrapés.

Quelles que soient les dispositions prises suite à cette première année de rodage, les Régions ne sont pas toutes tirées d’affaire en 2016. Une fois leur politique calibrée selon les crédits européens disponibles, il faut assurer la contrepartie nationale, qui doit représenter au minimum 25 % du total de l’argent public engagé. L’Europe ne paye qu’à cette condition ! En Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente, les nouvelles priorités et plafonds sont calés sur l’enveloppe européenne prévue pour 2016. « Faute de contrepartie nationale suffisante, nous ne pourrons pas honorer nos priorités, qui sont déjà le fruit de compromis, se désole le conseil régional. L’État a fait un effort conséquent en 2015, anticipant l’appel d’air créé par le début de programmation, mais sa contribution est descendue trop vite en 2016 alors que la demande reste forte. »

D’autres cofinanceurs ont été démarchés. Les Agences de l’eau ont consenti des rallonges dans diverses régions. Elles interviennent sur les zones qui les concernent, selon leurs propres priorités et plafonds. « Cela peut créer des inéquités criantes entre agriculteurs situés dans ou hors d’un périmètre de captage », lâche Sophie Fonquernie, qui ira rencontrer de nouveau les Agences de l’eau de Bourgogne-Franche-Comté « pour tenter de régler ces problèmes de terrain ».

L’heure de la transition ?

L’engouement pour ces MAEC très critiquées en amont est-il la preuve d’une transition agroécologique à l’œuvre ? L’optimiste remarquera qu’en Bretagne, le niveau le plus exigeant de la mesure Polyculture-élevage a été de loin le plus demandé, pour une différence de rémunération modeste. Le sceptique évoquera plutôt un « effet d’aubaine » quand la mesure herbagère ou polyculture-élevage promet une rentrée d’argent à des éleveurs herbagers n’ayant pas à modifier leur système.

En pleine crise, le terme « aubaine » est pourtant osé. Certains ont perdu la PHAE et n’ont pas accès à l’ICHN revalorisée (généralement considérés comme prioritaires, ils ne devraient pas rester sur la touche). La chambre d’agriculture de Basse-Normandie rappelle aussi que les herbagers ont des aides directes historiquement faibles. En Bourgogne, « les éleveurs se sont engouffrés dans la mesure herbagère malgré les contraintes dénoncées à l’époque, constate Sophie Fonquernie, vice-présidente en charge de l’agriculture. Mais il y a un risque réel d’abandon de l’élevage alors que le maintien de systèmes herbagers a un intérêt environnemental prouvé. »

Loin de l’esprit prôné par Bruxelles, les MAEC françaises tendent à prendre la forme d’un soutien à des productions vulnérables, plutôt que d’un coup de pouce au changement de pratiques. Et encore, il y a beaucoup d’exclus. Y compris en grandes cultures, dans les territoires à faible potentiel où des MAEC auraient pu compenser de faibles revenus moyennant un effort sur les phytos. « Midi-Pyrénées a choisi les éleveurs : j’étais écarté dès le départ alors que j’aurais été preneur », regrette Jacques Commère, représentant l’Organisation des producteurs de grains (Coordination rurale). À la Région, Judith Carmona l’entend bien : « Les agriculteurs répondent à l’appel : maintenant, comment les accompagne-t-on ? Pour la nouvelle Pac, il faudra tirer les leçons de ce qui se passe ! »

Si les MAEC ont échoué en se détournant de leur vocation (financer la transition) pour soutenir des systèmes fragilisés mais vertueux sur le plan environnemental, pourquoi ne pas repenser leur rôle ? Certains rêvent d’un paiement pour services environnementaux… Il aurait alors sa place dans le premier pilier, géré par l’État.

(1) Sous réserve entre autres de désengagements pour les MAEC dont le cahier des charges a été fixé tardivement.

(2) Système polyculture-élevage, dominante élevage, en niveau 3 et en « maintien de pratiques ».

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