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C’est son avis « Recréons des zones tampons »

Julien Tournebize, ingénieur hydrologue au centre Irstea (1) d’Antony (Hauts-de-Seine), accompagne la mise en œuvre de zones tampons humides artificielles dans les espaces de grandes cultures, pour réduire la pollution des eaux de surface et souterraines.

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Un site pilote

Rien de tel qu’un site pilote pour démontrer sur le terrain l’efficacité des zones humides en matière de dépollution des eaux. Depuis 2005, une dizaine d’agriculteurs de Seine-et-Marne, l’association AQUI’Brie et l’Irstea (2) travaillent ensemble à une solution limitant la contamination, par les eaux de drainage, des parcelles cultivées. À Rampillon, deux exploitants ont sacrifié 2 000 m2 de foncier, sur 1,4 ha du site, pour expérimenter, grandeur nature, la filtration naturelle via des mares innovantes. Depuis 2012, le site a été visité par 300 personnes, dont de nombreux agriculteurs curieux de voir et comprendre.

Limiter les transferts

Il s’agit de mimer le fonctionnement naturel des zones humides qui ont été détruites, en créant des zones tampons humides artificielles en aval du bassin versant. Les eaux issues des drains s’y déversent. Des bactéries, naturellement présentes, dégradent les nitrates en quatre à cinq jours, réduisant en moyenne sur l’année la concentration de 20 mg/litre. Rappelons que pour 150 kg de fertilisants utilisés, 30 kg se retrouvent dans les eaux de drainage.

Nous avons suivi la présence dans ces eaux de 64 pesticides différents. Quand 1,7 kg de produits phytosanitaires est appliqué par hectare, il en ressort 1,2 gramme par les drains. Soit 0,1 %, ce qui reste supérieur aux normes de qualité des eaux. Sur une période de trois ans, nous constatons que certaines molécules ayant séjourné dans la zone tampon humide sont mieux dissipées que d’autres. Cela varie de 10 à 100 %. Nous relevons que les régulateurs de croissance des céréales disparaissent en totalité. La présence des herbicides dans l’eau à la sortie de la mare artificielle est réduite de 30 %, celle des fongicides de 57 % et des insecticides de 10 %.

Il y a une forte variabilité selon la saison, les précipitations et donc leur temps de séjour dans le dispositif. Nous continuons d’étudier le rôle que joue la végétation présente dans la zone humide et le devenir de ces molécules. Sont-elles réellement dégradées ou juste stockées ? Leur accumulation ne doit pas créer une bombe à retardement.

Un outil d’accompagnement

Ce type d’aménagement, qui vise à réduire les transferts, n’est pas un permis de polluer. C’est un outil qui accompagne le changement des pratiques agricoles et les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). L’investissement est de l’ordre de 300 à 400 euros par équivalent hectare cultivé. Le déploiement sur le territoire national se fait progressivement. Une trentaine de zones tampons humides artificielles ont vu le jour, avec l’aide des chambres d’agriculture, en Normandie, Lorraine, dans le Gers et l’Aude notamment.

Lever des verrous

Pour l’heure, les zones tampons humides artificielles n’ont pas de statut juridique, contrairement aux zones enherbées. Il faut donc lever certains verrous non négligeables, comme le sacrifice par les agriculteurs de 1 à 2 % du foncier pour diminuer l’impact des intrants et améliorer la qualité de l’eau.

Propos recueillis par Alexie Valois

(1) Irstea : Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.

http://actions-territoires.irstea.fr/eau/depollution-des-eaux-agricoles-une-mare-innovante-reunit-les-acteurs-du-territoire

(2) En savoir plus : http://zonestampons.onema.fr/

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