INSTALLATION, ENVIRONNEMENT, COMPÉTITIVI LES RÉGIONS METTENT LA MAIN À LA PAC
Les conseils régionaux marquent de leur empreinte politique les dispositifs dits de développement rural, malgré des orientations encore fortes de l'Etat. Un premier pas vers une régionalisation plus ample en 2020.
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Pour la première fois, la France a choisi de régionaliser le deuxième pilier de la Pac. Consacré au développement, il est cofinancé par l'Europe d'un côté, sur les fonds du Feader (1), les Etats et les collectivités territoriales de l'autre.
- Vingt-sept programmes de développement rural (PDR), portés par les conseils régionaux au rang d'« autorité de gestion », sont en cours de finalisation avec la Commission européenne. Les régions sont dorénavant juridiquement et financièrement responsables vis-à-vis de Bruxelles. Une responsabilité partagée avec l'Etat qui n'a pas totalement lâché la main. Au contraire.
- Dans chaque PDR, plusieurs mesures sont cadrées au niveau national : l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), les aides à l'installation et les mesures agroenvironnementales et climatiques, ou MAEC (dont le bio). Leur mise en oeuvre est obligatoire sur tout le territoire. Concernant l'ICHN, les régions n'ont pour ainsi dire aucune marge de manoeuvre (lire la FA du 8 mai, pages 98-99), contraitement à l'installation (lire p. 40) et aux MAEC (lire p. 42). Les autres mesures, notamment les soutiens à l'investissement, sont entièrement mises en oeuvre par les régions. En principe, elles sont libres d'en choisir les modalités et les financements. Cependant, l'Etat apportant une contribution financière seulement à certains dispositifs, à coloration agroécologique par exemple, les régions ne s'en sont pas écartées.
- Les plus optimistes voient dans la régionalisation une opportunité de mieux adapter les dispositifs aux particularités locales. « Les collectivités territoriales sont plus proches du terrain », confirme le président de la chambre d'agriculture d'Alsace. Son homologue de Rhône-Alpes était moins enthousiaste avant de voir ses craintes de distorsion de concurrence dissipées. Le cadre stratégique national assure une égalité de traitement et une solidarité nationale vis-à-vis des jeunes ou des zones défavorisées. Un comité Etat-régions a été mis en place au niveau national pour définir les grandes orientations du second pilier et, à l'échelon régional, pour assurer une étroite concertation tout au long de la programmation.
- Dans chaque région, la profession est consultée, via la FNSEA et les chambres d'agriculture. La Coordination rurale et la Confédération paysanne, dépourvues de maillons régionaux, ont le plus souvent été écartées des consultations.
RETARD A L'ALLUMAGE
- En février 2014, six régions n'avaient pas encore enclenché le processus. Le président de l'Association des régions de France (ARF) demandait alors de l'indulgence envers les conseils régionaux. « C'est un moment historique, la première vraie régionalisation. Mais aussi un changement structurel difficile pour les administrations, un surcroît de travail énorme et du personnel à transférer du national au régional (2 à 3 personnes par région). »
- Dans la plupart des régions, les Draaf et/ou les DDT (2) ont joué un rôle crucial d'accompagnement. Souvent les conseils régionaux ont dû s'approprier un nouveau métier, dont ils ont découvert la complexité. Le président de la chambre de Bourgogne l'a ressenti : « L'implication de la Draaf et son expérience ont été déterminants. » En Rhône-Alpes, une convention a été signée entre le conseil régional et le préfet pour définir en amont le rôle et la complémentarité de chacun. Le partenariat en Alsace a été « exemplaire ». La Région a une longueur d'avance puisqu'elle est autorité de gestion du second pilier depuis 2007, même si c'était avec moins de latitude qu'aujourd'hui. Au contraire, en Lorraine, les relations entre les services de l'Etat et de la Région ont été difficiles. Et comme indécisions et imprécisions ministérielles planent toujours sur les discussions, partout, apprendre à se connaître et à travailler a été long, freinant les projets de nombreux agriculteurs.
LES RÉGIONS À L'ÉCOUTE
- La multitude des acteurs sollicités a aussi ralenti le processus. « Cela a compliqué le partage de l'enveloppe Feader et favorisé l'éparpillement », estime le président de la chambre de Picardie. En Normandie, par exemple, « les régions ont demandé l'avis d'associations très spécifiques, parfois peu représentatives, pour définir les conditions d'accès aux mesures, souligne le président de la chambre régionale. Résultat : pour le PCAE par exemple (80 M€ sur 300 M€ du Feader), certaines mesures ont jusqu'à 40 critères de sélection ! »
- Bon an, mal an, la profession a pu s'exprimer, ayant des arguments à faire valoir. Les chambres de Franche-Comté et de Champagne-Ardenne se sont, par exemple, portées candidates pour cofinancer les mesures liées au conseil. Le poids de l'agriculture de Champagne-Ardenne (10 % du PIB de la région, contre environ 3 % au national) a aussi pesé : « C'est un des rares acteurs de notre Région qui continue à se développer et à exporter », rapporte le président de la chambre régionale. En Limousin aussi, la chambre a su faire valoir la dimension économique de l'agriculture : « Produire plus est maintenant une priorité affichée pour notre Région, caractérisée par des systèmes extensifs », se félicite son président. En Poitou-Charentes, première Région caprine, la profession a fait ouvrir le PCAE à la filière (15 M€ en plan bâtiment ou suivi qualité). En revanche, elle n'a pas été entendue sur le stockage de l'eau. La Région a d'abord opposé un non catégorique avant de lâcher 500 000 € sur les réserves de substitution (sur 400 M€ de Feader). « Nous demandions plusieurs millions d'euros, comme en Aquitaine ou Midi-Pyrénées », regrette le président de la chambre régionale.
- Le soutien au bio a fait l'objet de discussions parfois tumultueuses. En Lorraine, le budget est jugé trop faible (il manquerait 11 M€) par la chambre. A l'inverse, en Franche-Comté, Picardie ou Champagne-Ardenne, la profession dénonce un budget surévalué. « On n'est pas contre mais il faut s'assurer de financer des projets viables économiquement », déclare la chambre de Picardie. En Champagne-Ardenne, c'est la répartition entre l'aide à la conversion et celle au maintien qui est contestée. « Nous avons de grosses exploitations, souvent réparties sur plusieurs sites, difficiles à convertir tout en bio. »
- Le regret des chambres est le même partout : les entreprises perdent en compétitivité, il faut soutenir les investissements productifs tels que la méthanisation, les bâtiments d'exploitation ou de transformation, les outils de guidage qui permettent les économies d'intrants, etc. En Picardie, la profession a fini par obtenir de favoriser la modernisation des bâtiments et de financer les robots de traite. « Nous essayons encore d'obtenir des bonifications pour les herbivores et les zones vulnérables. » En Champagne-Ardenne, le stockage de la fécule de pommes de terre sera finalement financé pour garder une féculerie. En Région Centre, parent pauvre de la réforme (- 100 M€ en 2010 et - 60 M€ en 2015 sur le premier pilier, avec un second pilier historiquement faible), le budget alloué à l'investissement est « négligeable », estime le président de la chambre : 17 M€ pour six départements, or les zones vulnérables s'étendent. « Alors que le conseil régional a été très loin dans les investissements non-agricoles comme le haut débit dans les campagnes, avec 20-25 M€. » Toutefois, les fonds de l'agriculture n'ont pas été transférés aux zones rurales puisque les budgets du second pilier augmentent dans toutes les régions, notamment grâce au transfert de fonds du premier pilier.
- Le plus gros point de désaccord entre la Région et la profession reste les MAEC. En Poitou-Charentes comme en Bourgogne, en Picardie ou en Région Centre, la chambre estime que le budget qui leur est affecté est trop important. Elle redoute que le trop-plein de contraintes conduise les agriculteurs à ne pas s'engager. Le président de la chambre de Lorraine partage cette crainte : « Certains cahiers des charges sont décourageants. » Il soulève une autre dérive : « Par manque de budget, on resserre le zonage ouvrant la porte aux distorsions de concurrence entre agriculteurs d'une même région. »
Un autre risque est de créer un effet d'aubaine, si seules les exploitations déjà à niveau contractualisent. Suivant les opérateurs retenus pour gérer les MAEC, les agriculteurs pourraient aussi être plus ou moins mal accompagnés. « En Haute-Normandie, la Région nous a refusé le rôle d'opérateur, le laissant aux interlocuteurs historiques comme les parcs régionaux ou des associations Natura 2000, raconte le président de la chambre. Or, les nouvelles MAEC impliquent une connaissance du fonctionnement économique des exploitations qu'ils n'ont pas. »
- Si le président de la chambre d'agriculture d'Alsace est résolument tourné vers l'Europe, ses homologues veulent y croire. Beaucoup d'enveloppes sont fongibles. Si les budgets ne sont pas utilisés d'un côté, ils pourront l'être de l'autre. Et certaines marches ne seront finalement peut-être pas aussi hautes qu'il n'y paraît. En attendant, les chambres trouvent difficiles d'en convaincre les agriculteurs. Les régions gardent le bénéfice du doute. Mais elles ont du pain sur la planche.
PROCHAINEÉTAPE EN 2020
- Entre 2015 et 2020, les régions ne géreront vraiment que 10 à 15 % des fonds du second pilier (PCAE, tourisme rural, forêt, etc.). « L'enveloppe augmente mais la Région n'a pas beaucoup plus de marge de manoeuvre que dans l'ancienne programmation. Le poids renforcé de l'ICHN, de Leader, du socle national, auxquels il faut encore ajouter les cofinancements Feader « obligatoires », laissent peu d'autonomie financière », reconnaît le président de la chambre de Rhône-Alpes. « A part de petites musiques régionales autour des signes de qualité ou autres, cela change peu », confirme le conseil régional de Midi-Pyrénées. On est encore loin de la latitude laissée à la Corse, qui construit son PDR par rapport au programme européen et non au cadre national. C'est ce que réclame l'ARF pour toutes les régions.
- Les régions font aussi un fort lobbying pour mettre la main sur le premier pilier de la Pac. « Nos idées n'ont pas fait leur chemin », regrette le président de l'ARF. Mais il garde espoir. « Dans une France qui se décentralise, il paraît aberrant de continuer à gérer au niveau national une Pac qui doit coller à la diversité des territoires. » Prochaine étape, 2016, avec le passage de 21 à 13 régions de métropole. Il ne sera pas encore temps de fusionner les PDR qui sont prévus jusqu'en 2020, même si des rapprochements seront possibles puisque Bruxelles autorise des ajustements de PDR chaque année. Mais la tâche semble titanesque tellement les instances actuellement ont eu du mal à s'entendre. De son côté, la profession s'organise. A l'instar de l'Aquitaine, du Limousin et du Poitou-Charentes, qui ont entamé le rapprochement et éliront en octobre un bureau et un président « supra »-régional.
(1) Fonds européen agricole pour le développement rural.(2) Direction régionale de l'agriculture et Direction départementale des territoires.
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