Lait L'après-quotas toujours en chantier
A un mois de la fin de la campagne contingentée, le rapport de force reste clairement favorable aux industriels. Inverser la tendance demandera du temps et de la mobilisation.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Le « soft landing », vous vous souvenez ? C'est « l'atterrissage en douceur » que Bruxelles avait promis pour la fin des quotas laitiers. La période d'euphorie sur le marché mondial des produits laitiers en 2013 et au début de 2014 aurait pu lui donner raison.
Seulement, la Chine a ralenti ses achats et l'embargo russe est venu faire piquer un peu plus l'avion du nez, démontrant au passage que les outils de régulation encore disponibles au niveau communautaire ne peuvent être efficaces si la volonté n'y est pas.
Personne ne doute de l'identité du pilote : l'aval de la filière a pris le manche, qu'il s'agisse de discuter du prix du lait ou de la gestion des volumes. « Les industriels ont toutes les cartes en main, constate Yves Sauvaget, de la Confédération paysanne. Ils connaissent le marché et nous font croire ce qu'ils veulent. Un prix bas est quasi une aubaine pour eux, pour se positionner sur des marchés auparavant inaccessibles. »
Les négociations sur le prix du lait ont toujours été source de tension. Même à l'époque où l'interprofession formulait des recommandations. Aujourd'hui, les organisations de producteurs (OP) restent impuissantes. « Les éleveurs ne sont pas en position de force, observe Paul de Montvalon, président de France Milk Board. Avec 47 OP, ils sont trop éparpillés. Il n'y a aucune association d'OP (AOP). Les laiteries n'en veulent pas et sont suffisamment puissantes pour empêcher leur création. »
Mais pourquoi les contrats et les OP ne trouvent-ils pas leur rythme de croisière ? En partie parce qu'à leur création, le commandant de bord, Bruno Le Maire, a mis la charrue avant les boeufs. Il a rendu la contractualisation obligatoire avant de définir le rôle des OP et les règles du jeu avec les transformateurs. Ces derniers n'ont pas non plus facilité le travail.
« Les OP fonctionnent bien quand l'industriel l'a voulu, observe Florian Salmon, chez Jeunes Agriculteurs. Lactalis n'a rien fait pour que les éleveurs se mobilisent. » Bilan, les producteurs sont dans le brouillard.
« Les contrats sont établis sur la base des quotas actuels, souligne Denis Berranger, président de Cleps Ouest, une OP livrant à Bongrain. Cela n'aide pas à se projeter dans l'avenir. Nous discutons du prix avec une entreprise mais si son voisin décroche, cela se répercute sur nos discussions. A court terme, le transformateur ne s'inquiète pas de la disponibilité de lait. Mais il connaît la pyramide des âges des éleveurs et s'interroge sur la présence à long terme d'exploitations capables de l'approvisionner. »
La contractualisation et les OP peuvent-elles rééquilibrer le rapport de force dans la filière ? L'idée sous-jacente est celle de la massification de l'offre. « Il y a une solution, avance André Bonnard, trésorier de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). C'est la concurrence mais elle n'existe pas chez nous. Rassemblez 5 milliards de litres de lait. Qui est capable de les transformer ? Notre industrie laitière s'est implantée hors de France mais il n'y a aucune entreprise étrangère installée chez nous. Il faut faire en sorte que cette cartellisation saute, que Fonterra ou Arla comprennent quand ils regardent la production française, que les éleveurs en ont sous le pied. »
Une histoire à construire
En attendant que ces géants apparaissent dans l'espace aérien de nos transformateurs, une autre solution est parfois évoquée : celle de l'OP commerciale. Les industriels n'en veulent pas. Ils ont beau jeu de rappeler la triste fin de l'URCVL ou du GIE Sud lait. « Les OP bavaroises ont trouvé une alternative, reprend André Bonnard. Elles ont inventé une AOP à laquelle elles confient la négociation du prix avec les industriels. Mais elles ont 40 ans. Ça ne s'est pas fait en un jour. »
Autre sujet épineux : la gestion des volumes. « C'est au niveau régional que les discussions devraient avoir lieu, estime Claude Bonnet, président d'une OP livrant à Lactalis. Les négociations devraient être moins conflictuelles que celles sur le prix du lait. Ce qui intéresse l'entreprise, c'est le volume global et sa répartition géographique.
Faut-il des contrats cessibles ou pas ? C'est une discussion à avoir entre producteurs. C'est un sujet brûlant entre les personnes en fin de carrière et les jeunes. Se pose aussi la question de ceux qui souhaitent arrêter le lait mais poursuivre une activité agricole. Certains imaginent vendre leur contrat. Nous avons vu récemment sur Leboncoin.fr un contrat d'un million de litres à vendre. C'est un sujet que nous allons rediscuter en février avec Lactalis, qui souhaite que les producteurs s'emparent du sujet pour parvenir à une décision partagée. »
Les débats mettent en lumière les relations entre les producteurs et les industriels privés. Les coopératives, qui collectent un peu plus de la moitié du lait français, passent sous les radars de la contractualisation et des OP. « La situation est différente, estime André Bonnard. Si le producteur n'est pas content, il peut changer les choses. Nous devons travailler à faire passer ce message, que le sociétaire se réinvestisse dans la vie de leur coopérative. Les quotas les en ont éloignés. » Voilà qui devrait répondre au discours de la FNCL qui, depuis plusieurs années, plaide pour que les producteurs se réinvestissent dans la stratégie de leur coopérative.
Le médiateur revient dans le jeu ?
Avant de demander aux juges d'arbitrer leur différend avec Lactalis, l'OP Normandie centre et le groupement de producteurs livrant à la laiterie du Cuincy ont sollicité le médiateur des relations commerciales le 9 février 2016. L'industriel a deux semaines pour accepter ou non cette médiation. S'il la refuse ou si elle n'aboutit pas à un accord, les deux OP promettent de demander à la justice de trancher sur le respect ou non des contrats par Lactalis.
« C'est une démarche nécessaire et qui demande du courage, reconnaît Yves Sauvaget, de la Confédération paysanne. Les éleveurs défendent leur droit au revenu. Malheureusement, même s'ils gagnent le procès, ils seront les perdants. Ces relations ne sont pas tenables. Il faudrait une prise de conscience des politiques mais les mentalités n'évoluent pas vite. »
De son côté, Stéphane Le Foll se dit favorable à cette médiation. Il souhaiterait qu'elle aboutisse très rapidement et, si possible, avant l'ouverture du Salon international de l'agriculture.
Des variations de prix bien difficiles à maîtriser
Davantage connecté au marché mondial et faute d'outils efficaces de régulation, le prix du lait se retrouve soumis à des variations brutales. « Les contrats manquent de souplesse pour que l'éleveur puisse s'adapter aux marchés et produise moins quand les prix sont bas, remarque Véronique Le Floc'h, présidente de l'Organisation des producteurs de lait (OPL). Quand la rémunération n'est pas au rendez-vous, les éleveurs devraient pouvoir réduire la voilure. Si tout le monde le faisait, cela atténuerait les conséquences de la volatilité. »
Mais au niveau communautaire, la France est relativement isolée quand il s'agit de défendre un système qui limiterait les conséquences de la volatilité.?En France, tous les acteurs n'ont pas la même approche. « La volatilité, Lactalis considère que c'est de notre ressort, que ce n'est pas à lui d'assurer notre marge, remarque Claude Bonnet. Dans les pays du nord de l'Union européenne, les prix sont montés à des niveaux très élevés. Les éleveurs ont accumulé de la trésorerie. Il est plus facile d'accepter la volatilité dans ces conditions. Notre système est censé lisser ces variations. Les transformateurs veulent bien amortir les hausses mais moins les baisses. »
Personne ne peut se mettre à l'abri de la volatilité. « Nous devons apprendre à prévoir et gérer ce risque, estime Dominique Chargé, président de la Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL). Chacun a un rôle à jouer. Les pouvoirs publics ne doivent pas nous laisser sans outil face à un marché qui plonge après une décision politique comme l'embargo russe. Aux coopératives de prospecter de nouveaux marchés pour assurer la valorisation du lait. Dans les exploitations, ce sont de nouveaux repères qu'il faut acquérir pour gérer la trésorerie. A mon sens, la fiscalité reste un levier insuffisamment raisonné chez nous. Il est aussi nécessaire de réadapter les outils de la Pac en travaillant sur un système assuranciel de marge. »
[summary id = "10022"]
Pour accéder à l'ensembles nos offres :