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Comment elles ont tissé leur toile Comment elles ont tissé leur toile

Depuis la fin des années soixante, les organisations environnementales se sont progressivement imposées dans le paysage institutionnel français.

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En France, le mouvement de protection de la nature prend son essor durant les années soixante à soixante-dix. « C'est l'époque des grands aménagements et du développement industriel, rappelle Alexis Vrignon, doctorant en histoire. Les conséquences de cette politique deviennent très sensibles pour la population. La surface des villes double pratiquement entre 1950 et 1960 ! » Jean-Pierre Raffin, écologue et ancien président de France nature environnement (FNE), se souvient : « Les gens de ma génération, qui ont vécu dans la France rurale des années cinquante, ont connu une nature riche qui a disparu en quelques années. Nous perdions quelque chose qui avait enchanté notre enfance et dont nous voulions que nos enfants profitent : ça nous a mobilisés. »

GROUPES DE PRESSION

A l'époque, le ministère de l'Environnement n'existe pas et les associations se sentent peu écoutées. Elles ont deux options. Soit se regrouper pour faire pression au niveau de l'administration centrale. Ainsi, en 1968 naît la fédération qui deviendra FNE. Soit présenter un candidat aux élections présidentielles. C'est ce que tenteront les Amis de la terre. « Mais la frontière est floue entre milieux politique et associatif et les militants circulent entre les deux, explique Alexis Vrignon.

La création du parti des Verts, en 1984, marque la séparation entre politiciens et naturalistes. Puis les associations vont d'autant plus se désolidariser des Verts que les pouvoirs publics deviennent plus réceptifs à l'écologie. Plutôt que de s'allier aux Verts qui font de faibles scores, elles ont intérêt à rester indépendantes et à parler avec tout le monde. »

« BÉQUILLES » DU MINISTÈRE

Des discussions, il y en a notamment avec le jeune ministère de l'Environnement. Créé en 1971, il regroupe des compétences auparavant dispersées entre les administrations. Il n'a pas les moyens de sa politique : peu de budget et aucun fonctionnaire dans les régions et départements. Il a besoin d'appuis, qu'il trouve auprès des associations. « Nous rappelions qu'en tant que citoyens bénévoles, nous n'avions pas à nous substituer à l'Etat. Mais, de facto, nous avons joué ce rôle, témoigne Jean-Pierre Raffin. Des ministres de l'Ecologie l'ont dit : nous avons été leurs béquilles. »

Le ministère de l'Environnement doit asseoir sa crédibilité devant les autres administrations et les autres Etats. En effet, l'écologie devient une affaire européenne. « Il lui faut des diagnostics, des inventaires, des études, explique Henri Jaffeux, président de l'AHPNE (1) et ancien chargé de mission au ministère de l'Environnement. Cependant, il n'en a pas les moyens. Il se tourne donc vers les associations. » Quitte à ce qu'elles soient juges et parties des causes étudiées ? « Elles étaient généralement justes et impartiales et se sont professionnalisées dans les décennies suivantes, affirme celui qui a travaillé trente ans dans cette administration. Sans elles, beaucoup d'études n'auraient pas été réalisées ou auraient coûté très cher à l'Etat. » Parallèlement, à partir des années soixante-dix, Greenpeace et les Amis de la terre diffusent de nouveaux modes d'action plus spectaculaires. Le bureau français du WWF, ouvert en 1973, se concentre sur la préservation de la nature sauvage et s'intéresse particulièrement aux zones humides (2).

DES OUTILS POUR PESER

La loi de 1976 sur la protection de la nature donne aux associations le droit de siéger dans des commissions nationales et locales et d'ester en justice. Ce dont elles ont aussitôt « usé et abusé pour contester certaines décisions des pouvoirs publics, juge Henri Jaffeux. Le texte a mis sept ou huit ans à sortir, pendant lesquels les associations ont pesé pour obtenir du législateur un texte le plus proche de leurs souhaits. »

Les associations sont alors conviées dans des instances nationales de débat. D'abord dans le domaine énergétique. « Le ministère de l'Agriculture a une forte tradition de dialogue avec les syndicats. Il garde la main sur ses sujets, précise Alexis Vrignon. Le dialogue s'ouvrira vers la fin des années quatre-vingt. »

Le processus aboutit lors du Grenelle. Lequel « n'a pas donné plus de poids aux organisations environnementales, estime Henri Jaffeux, mais a changé la méthode. » Le député Bertrand Pancher, chargé du suivi du Grenelle et d'un rapport sur la gouvernance environnementale, approuve : « Avant, chaque lobby tentait d'influencer les propositions toile de loi. En mettant tout le monde autour de la table, le Grenelle a conduit chacun à sortir de sa posture pour chercher le consensus. » Le principe de coconstruction des politiques environnementales était né. Certes, les organisations environnementales et agricoles continuent de pratiquer les rencontres bilatérales, avec les parlementaires et les ministres ou leurs conseillers. « Mais avant chaque décision importante, on consulte toutes les parties prenantes », souligne le député.

PORTES OUVERTES

Des portes se sont ouvertes pour les environnementalistes dans les comités, conseils et commissions, notamment au Conseil économique, social et environnemental, systématiquement consulté avant un projet de loi. Aujourd'hui, FNE déclare siéger dans 200 commissions nationales ! Mais il fallait poser un cadre. En 2011, les conditions de l'agrément, qui permet aux associations de percevoir des subventions et d'ester en justice, ont été révisées. Sa durée de validité a été limitée à cinq ans et un critère de représentativité territoriale a été introduit. En outre, être agréée ne suffit plus pour participer au débat public.

Seule une organisation « représentative » peut espérer siéger dans une instance de concertation nationale ou locale, même si les nouveaux critères de représentativité ne sont exigibles qu'à partir de 2015. « On ne voulait pas se trouver face à des associations financées par des lobbies, des étrangers ou des farfelus ! explique Bertrand Pancher, qui a travaillé avec les ONG sur le sujet. Nous avons proposé des critères : nombre de membres, représentativité territoriale, transparence des budgets et fonctionnement démocratique. » Pour obtenir le sésame, il faut être agréé (association) ou reconnu d'utilité publique (fondation), disposer d'une expérience et d'un savoir-faire reconnu et présenter des garanties d'indépendance, notamment sur l'origine de ses financements. Le critère discriminant reste celui de la taille. Au niveau national, une association doit compter un minimum de 2 000 membres, une fondation, 5 000 donateurs. Au niveau régional, c'est au préfet de trancher.

PAS UNE QUESTION DE TAILLE

Certaines associations, revendiquant peu de membres mais une expertise sur un créneau précis (pesticides pour Générations futures, ondes électromagnétiques pour Robin des toits…), ont vu rouge. Selon une poignée d'entre elles, regroupées au sein du Rassemblement pour la planète, le gouvernement a sélectionné les interlocuteurs les moins dérangeants et exclu les « lanceurs d'alerte ».

De fait, les organisations « habilitées » ne semblent guère différentes des lobbies d'avant le Grenelle, même si les échanges sont publics. « Pas faux », hésite Bertrand Pancher, qui nuance : « Si une petite organisation a une expertise reconnue, on la consulte aussi. Dans le cas contraire, elle a une capacité de nuisance médiatique ! » Et de remarquer : « C'est pareil en agriculture : on discute d'abord avec la FNSEA... »

Au Conseil national de la transition écologique (CNTE), censé donner son avis sur tout ce qui touche à l'écologie, huit sièges (sur 58) sont réservés aux environnementalistes (3). On ne sait quoi dire de la présence de Surfrider, plutôt axée sur le surf, fut-ce dans une eau préservée de pollution. Les autres sièges sont occupés sans surprise par les associations les plus importantes. Il y a des déçus.

François Veillerette, cofondateur et porte-parole de Générations futures, se console : « Le CNTE ne représente que la partie généraliste du débat environnemental. Cela ne nous empêche pas d'être écoutés sur les sujets spécifiques où nous avons une expertise, par exemple dans les groupes de travail Ecophyto. » Il reste pragmatique : « Le dialogue continu est plus important que le dialogue formel. »

Ceux qui sont chassés par la porte reviennent par la fenêtre au sein d'un groupe (comme le Réseau action climat). Lequel peut, de même qu'une fédération, offrir une seconde caisse de résonnance aux associations qui siègent déjà en leur nom propre (comme la LPO).

RÉHABILITATION NÉCESSAIRE

Pour l'heure, les nouveaux critères de représentativité ne semblent pas strictement appliqués. Greenpeace, actuellement absente de la « liste des organisations habilitées » à siéger dans certaines instances, a pourtant un siège au sein du Haut conseil des biotechnologies. Idem pour les Amis de la terre, représentée au CNTE. Son président, Florent Compain, explique : « Lorsque les critères ont été révisés, beaucoup ont perdu leur habilitation. La nôtre est en cours de renouvellement. » Générations futures figure déjà dans la liste des organisations « habilitées », ce qui lui permet de siéger à la Commission des produits chimiques et biocides. Pourtant, son site internet n'annonce que le nombre vague d'« un millier » de membres...

Alors que le ministère de l'Environnement ne répond pas à nos questions, on s'étonne encore de voir qu'une association à l'identité régionale affichée (Eaux et rivières de Bretagne) siège au Conseil supérieur de prévention des risques technologiques, consulté sur les installations classées et la réglementation nitrates. Les organisations environnementales n'ont peut-être pas fini de batailler pour asseoir leur légitimité.

(1) Association pour l'histoire de la protection de la nature et de l'environnement. (2) Outre la création de réserves naturelles, on doit au WWF la convention internationale Ramsar sur les zones humides (la France a 36 sites Ramsar, soit 3 Mha). (3) La FNSEA y a deux sièges et l'APCA un.

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