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Phytos Ces amendements qui ont semé la panique

L'examen de l'article 23 de la loi d'avenir en commission des affaires économiques, qui porte notamment sur l'utilisation des produits phytosanitaires, a fait réagir de toutes parts.

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Un tiers de la surface agricole utile française interdite de tout traitement phytosanitaire, même bio, voilà ce que pourrait être l'avenir. Plusieurs amendements adoptés en avril dernier lors de la première lecture de la loi d'avenir au Sénat proposent de modifier l'article L. 253-7 du code rural en ce sens.

Ils laissent au ministre de l'Agriculture, et non plus à l'autorité administrative, toute latitude pour interdire ou encadrer l'utilisation de ces spécialités dans des zones particulières. Ces dernières sont en partie constituées de « zones utilisées par le grand public » mais celles à proximité des habitations ont été intégrées.

Si aucune distance n'a été instituée pour interdire des épandages à proximité des habitations et des lieux publics, lors des débats initiaux, on parlait de 100 m... Mais le rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat a jugé cette mesure trop restrictive et a indiqué que c'était à l'Administration de fixer la distance exacte.

En outre, au début de mai, des enfants auraient eu des malaises peut-être liés à l'application, dans de mauvaises conditions, de fongicides sur des vignes proches de leur école. Ségolène Royal aurait alors souligné vouloir interdire l'application de phytos à 200 m des écoles.

Si l'on se fonde sur une telle distance des habitations et des lieux publics, près de 10 millions d'hectares seraient concernés (lire l'encadré). Selon les régions, entre 20 et 40 % des terres pourraient être impactées, avec des pics allant jusqu'à 70 %, comme en Ile-de-France. Les productions maraîchères ou viticoles, souvent proches des habitations, seraient parmi les plus concernées.

Ces dernières semaines, les agriculteurs ont manifesté leur mécontement (lire l'encadré) mais ont aussi rencontré les députés pour les inciter à retirer ces éléments de l'article L. 253-7 du code rural. Cela a finalement abouti au dépôt de presque 40 amendements qui devaient être discutés en commission des affaires économiques les 24, 25 et 26 juin.

Mesures de protection

« J'espère que les débats vont nous permettre d'avoir des choses un peu plus cohérentes », déclare Eric Thiroin, président de la commission environnementale de la FNSEA. Ce dernier se dit ravi du communiqué du 19 juin des ministres de l'Agriculture et de l'Environnement. Il démontre que l'action des agriculteurs a déjà eu un impact. Mais la FNSEA attend de voir comment cette annonce va être traduite concrètement.

Il est, en effet, indiqué qu'« il n'a jamais été question d'interdire cette utilisation à 200 mètres des habitations, ce qui concernerait une grande partie de la surface agricole nationale ». Il est en revanche question de mettre en place des mesures de protection destinées à l'utilisation de produits phytosanitaires à proximité de certains lieux sensibles (écoles, crèches, hôpitaux et maisons de retraite notamment). Le gouvernement aurait prévu de déposer un amendement qui irait dans ce sens, dont nous n'avons pas encore connaissance à l'heure où nous publions cet article.

Selon le communiqué des ministères, les mesures envisagées consisteraient à la mise en place de haies, de buses antidérives, de dates et horaires d'utilisation des produits... Stéphane Le Foll attendrait par ailleurs les résultats d'une expertise de l'Agence nationale de sécurité sanitaires de l'alimentation pour faire des propositions. Celle-ci concerne l'exposition des riverains aux pesticides et devrait être publiée sous peu.

Parallèlement, la pétition « Votez pour l'amendement interdisant la pulvérisation de pesticides le long des habitations et des écoles ! » de Générations futures avait déjà récolté près de 82.000 signatures, le 25 juin en milieu d'après-midi. La députée écologiste Brigitte Allain a appelé à « l'apaisement » sur ce sujet. Elle souhaite que soit conservée la possibilité pour le ministre de l'Agriculture de prendre des mesures de protection des riverains dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement.

Pourtant, cette possible interdiction d'employer les produits de protection des plantes près de zones particulières ne demeure qu'un élément parmi tant d'autres. En effet, tous les néonicotinoïdes pourraient être retirés, une centaine d'autorisations de mise sur le marché seraient également bloquées au ministère alors qu'ils ont obtenu un avis positif de l'Anses et que les substances sont autorisées au niveau européen.

Dans ce contexte, les producteurs tiennent à rappeler que ce sont eux les premiers exposés à ces produits et surtout qu'ils sont des professionnels responsables et formés. Ils doivent déjà mettre en oeuvre de bonnes pratiques agricoles dans le cadre de l'arrêté du 12 septembre 2006. Il n'est donc pas envisageable pour eux d'imposer d'autres contraintes qui, cette fois, « pèseraient sur la compétitivité de leurs exploitations ». 

Vote de la loi d'avenir

Le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt sera débattu pour la seconde fois en séance publique à l'Assemblée nationale les 7 et 8 juillet. Une fois le texte voté par les députés, ce sont les sénateurs qui l'examineront, probablement à l'automne. La loi devrait être définitivement adoptée avant la fin de l'année 2014.

 

Un trop-plein de contraintes ?

Le 24 juin dernier, près de 15.000 agriculteurs dans 85 départements, selon les organisateurs, ont manifesté à l'appel des JA et de la FNSEA sur le thème « Produire et manger français, stop aux contraintes ». L'appel n'était pas exclusivement lié aux restrictions d'emploi des phytos.

L'interdiction d'épandre tout fertilisant au-delà d'une pente de 20 % (dans le cadre du cinquième programme d'action de la directive nitrates), les biotechnologies interdites en France, les agriculteurs emmenés au pénal pour avoir taillé une haie, entretenu un fossé, moissonné l'été, la formation des apprentis compliquée... sont autant de sujets de mécontentement.

D'ailleurs, plusieurs associations de producteurs de fruits, céréales, oléoprotéagineux, pomme de terre et betterave, ainsi que les éleveurs de bovins, ovins, caprins et porcins... se sont ralliés au mouvement.

 

Expert : LUC CHATELAIN, agriculteur à Fontaine-lès-Croisilles (Pas-de-Calais)

« A 200 mètres des habitations », c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase

« Cette décision était une réponse médiatique, faite dans la précipitation, sans en mesurer l'impact, lance Luc Chatelain, agriculteur près d'Arras. L'interdiction de toute application de produits phytosanitaires, y compris bio, à 200 m des habitations concernerait au minimum 31 ha sur notre exploitation, sans compter le tour de notre propre habitation, soit 40 ha en la prenant en compte. »

C'est-à-dire 20 % d'un peu plus de 200 ha qu'il cultive en Gaec avec son frère, à Fontaine-lès-Croisilles et sur les deux communes de la banlieue d'Arras, Beaurains et Monchy-le-Preux, essentiellement en blé, betteraves, légumes de plein champ et pommes de terre.

Mais ce qui gênerait le plus les deux agriculteurs, c'est l'impact qu'une telle décision pourrait avoir sur la cueillette Chapeau de Paille qu'ils ont ouverte à Beaurains, dans une parcelle de 15 ha à côté des habitations. « La cueillette serait tout simplement vouée à la fermeture, ajoute consterné Luc Chatelain. Alors que c'est seulement maintenant, après sept ans d'existence, qu'elle fonctionne bien. Ce sont cinq emplois en plus du travail de mon frère et de celui de nos deux épouses qui disparaitraient du jour au lendemain. »

Il est d'autant plus agacé qu'en zone périurbaine, il fait déjà très attention à sa façon de travailler, en n'intervenant pas avec le pulvérisateur le dimanche par exemple, en prévenant les voisins avant de moissonner. « Nous avons déjà équipé notre pulvérisateur de buses antidérives, précise l'agriculteur. De même, nous avons implanté 2 km de haie... mais pas pour faire barrière aux habitations. Nous avions privilégié l'intérêt agronomique et écologique du dispositif en les mettant en place en rupture de pente, en limite de parcelles avec un voisin.

Ce que je crains le plus maintenant, c'est qu'il reste quelque chose de ces discussions et qu'une distance soit tout de même retenue ! Dans la région, nous sommes aussi en zone vulnérable et concernés par les programmes trames bleues et vertes et les projets de reboisement... Les 200 mètres, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. » (Blandine Cailliez)

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